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Le Cadet des Soupetard et Lie de Vin

  Découvert au début des années 1990 avec la série Le Cadet des Soupetard (Dargaud), Olivier Berlion accomplit ensuite un parcours sans faute en signant - toujours en compagnie d'Eric Corbeyran - la série Sales Mioches (Casterman) puis le remarquable (et remarqué) album Lie-de-vin. En octobre est sorti le deuxième tome d'Histoires en ville (Glénat) dont il est à la fois le dessinateur, scénariste et coloriste. On a le sentiment qu'il y a deux Berlion: celui "jeunesse" avec Le Cadet de Soupetard et Sales Mioches, et celui "adulte" avec Lie-de-vin et Histoires d'en ville… Ce que je dessine ne reflète pas forcément ma personnalité, mon dessin s'adapte à l'histoire que je raconte. Avec Soupetard et Sales Mioches, j'ai adopté un dessin qui évoque une vision de l'enfance un peu nostalgique parce que ça s'adaptait aux scénarios d'Eric Corbeyran. Mon style s'adapte en fonction des histoires, et non l'inverse. Mais l'étiquette "jeunesse" vous a longtemps collé à la peau… Il se trouve que c'est Soupetard qui a d'abord été accepté par les éditeurs, en l'occurrence Dargaud. Par la suite, j'ai dû batailler pour sortir de cette seule étiquette, j'ai essayé de casser cette image peu à peu, déjà avec Sales Mioches qui est moins jeunesse avec un dessin plus "académique". Mais, bien sûr, c'est Lie-de-vin qui a été l'étape décisive. Je ne voulais pas rater ce passage! Lie-de-vin a été le déclic? Je me suis surtout aperçu, à ce moment-là, que la BD pour enfants peut devenir un ghetto. Quand Lie-de-vin est sorti, j'ai rencontré des personnes que je n'avais jamais vues avant. Je me suis rendu compte à quel point le champ de la bande dessinée pouvait être plus large! Et puis, détail amusant, le téléphone a commencé à sonner plus souvent, les éditeurs se sont soudainement montrés plus réceptifs à mon travail… Lie-de-vin a finalement surtout modifié ma perception de la BD et une certaine vision d'un marché. Mais au niveau du travail, j'ai toujours su que je pouvais faire un album pour adulte, c'est une question de maturité… Question de confiance? Oui, aussi, et puis cet album, qui a été scénarisé par Eric Corbeyran, m'a sans doute incité un peu plus à signer mes propres histoires. Le succès a aussi engendré ses contraintes, je n'avais pas prévu autant de bonnes réactions, heureusement je m'étais engagé sur mon nouveau projet, ce qui m'a empêché d'être paralysé. Ceci dit, le succès de Lie-de-vin a aussi été une contrainte parce que tout le monde m'attendait au virage… Pourquoi signer vos propres histoires ? J'ai toujours dit à Eric (Corbeyran) qu'un jour ou l'autre je signerai mes scénarios, il le savait. Et Lie-de-vin m'ayant donné une nouvelle crédibilité dans la profession, c'était le moment d'essayer. Et puis on finit forcément par avoir une forme de frustration à dessiner les histoires des autres, c'est naturel, ça ne correspond pas toujours à votre façon de voir les choses, même si ça se passe bien. Histoires d'en ville est un polar urbain. Dans sa construction on pense à un film comme Smoke… Au départ j'avais un sujet qui n'était en aucun cas inspiré de quoi que ce soit. Et puis j'ai vu plusieurs films qui sont construits de cette façon avec des destins qui se croisent autour d'un lieu qui sert d'épicentre à ces rencontres. Tarantino aussi m'a influencé, James Ellroy, Jean-Claude Izot, pour l'écriture et un certain polar français…. Histoires d'en ville, comme Sales Mioches, se déroulent à Lyon. Vous n'avez pas peur qu'on vous colle maintenant une étiquette régionale?! Sur Sales Mioches, c'est ce qui est en partie arrivé. Et là, ça m'a franchement gêné… Réduire une série à un lieu, c'est pénible. On s'est servi de la ville de Lyon comme décor parce que c'est celui que je vois tous les jours mais point. C'est quand même dommage de voir que quand une histoire se déroule à New York ou à Paris, on ne met pas cet argument en avant alors que là il y a un effet régional inévitable et réducteur. Histoires d'en ville est différent: ça se passe dans une banlieue qui pourrait être n'importe où ailleurs, il n'y a pas de références précises à la ville. D'ailleurs, avec cette série, personne ne me parle vraiment de Lyon à part la presse locale, c'est inévitable. Vous n'avez pas l'impression de vous être dispersé en travaillant pour trois éditeurs différents? (Rires) Au départ ce n'était pas prévu. Quand j'ai débuté chez Dargaud avec Soupetard et que nous avons proposé Sales Mioches, Dargaud nous a répondu qu'il était difficile de faire un "Soupetard bis", les deux séries se ressemblant trop. Casterman a dit oui. Et puis des événements se sont passés chez cet éditeur, tout le monde le sait. Il faut savoir que si les auteurs changent parfois, c'est aussi le cas chez les éditeurs et ce n'est jamais très bon pour un auteur, c'est un élément déséquilibrant de ne plus avoir affaire aux mêmes personnes. Après Lie-de-vin publié par Dargaud, j'ai envoyé Histoires d'en ville à plusieurs éditeurs. Glénat a sans doute été le plus réceptif et puis, je ne m'en cache pas, la question financière a joué. Mais c'est vrai que gérer cette relation entre trois éditeurs est parfois compliquée. Vous lisez beaucoup, je crois. Des coups de cœurs? Oh la! la!… Disons qu'il y a les valeurs sûres comme Tardi et plein d'autres…. Parmi les auteurs récents, j'aime bien Moynot ou Davodeau, ils savent parfaitement bien raconter des histoires. Il y a aussi Tronchet qui me faut hurler de rire, mais, franchement, il y aurait bien d'autres noms que j'aimerais citer… En tout cas ce n'est pas forcément parce que l'on apprécie quelqu'un qu'on essaie de faire pareil. Ah oui, tiens, un album que j'ai lu récemment et que j'ai bien aimé: La Cavale du lézard par TBC. Très fort. On parle d'un projet que vous auriez, un projet avec une pointure du roman… Info, intox? Disons que rien n'est fait à ce jour, rien n'est signé, mais c'est vrai qu'un éditeur a provoqué cette rencontre et le contact s'est bien passé. Ça m'intéresserait d'associer nos univers, la vision qu'un romancier peut avoir de la bande dessinée est différente de ce que l'on rencontre avec les auteurs qui travaillent uniquement dans ce milieu. Ils ont un regard plus neuf, une autre forme de richesse. On verra bien… Dernière question: si vous n'étiez pas auteur, quel métier feriez-vous? Disons… éditeur! (Rires) François Le Bescond  

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Blueberry, plus jeune que jamais !

  Imaginé par Jean-Michel Charlier et Jean Giraud en 1963, le personnage de Blueberry est devenu l'un des fleurons de la bande dessinée franco-belge. Trois cycles parallèles - Marshal, Lieutenant Blueberry et La Jeunesse de Blueberry - sont aujourd'hui proposés avec, pour le dernier, la nouveauté très attendue, signée Blanc-Dumont et Corteggiani. Michel, vous venez de terminer la dernière planche. Premières impressions, à chaud ? MBD : C'est même encore brûlant ! D'autant que les couleurs ne sont pas encore bouclées. J'ai encore la tête dans le guidon. Même après bientôt trente ans, je ne me fais toujours pas à l'idée d'arriver au bout d'un bouquin. C'est un des grands mystères de ce métier, alors même qu'on en a ras le bol, qu'on n'en voit pas le bout, on a hâte de replonger dans le suivant. Et puis Blueberry, ça n'est pas facile. C'est un boulot énorme. Et vous, François, c'est votre 6e scénario de Blueberry. Vous commencez à vous sentir chez vous dans la série ? FC : On peut même dire sept, si l'on compte l'histoire que j'ai dû terminer à la mort de Jean-Michel Charlier. Puisque ce n'est pas l'adaptation d'une histoire déjà existante, forcément je finis par me l'approprier un peu. Il y a toujours des personnages auxquels je m'attache, des directions qui me séduisent plus… Je fais ce qui me plaît en m'efforçant de rester le plus respectueux possible. Gardien du temple ? FC : tout à fait. Pourquoi vouloir à tout prix être iconoclaste, brûler ce qui a été fait… A l'époque de votre premier Blueberry vous disiez que votre souci était surtout de vous approprier le personnage. Après trois albums, la greffe a pris ? MBD : Je n'y pense plus. C'est incroyable de voir combien on arrive à rentrer dans un univers étranger de façon toute naturelle. Et puis le travail avec François est tellement agréable. Comment vous y prenez-vous au moment d'entamer une nouvelle histoire ? FC : Comme pour les autres séries, avec beaucoup de circonspection. Les envies graphiques de Michel me guident également, mais dans cet album par exemple, c'est moins angoissant car nous sommes en plein dans un cycle ; on sait où on va. Dernièrement j'ai fait une erreur de date que j'ai pu rattraper à temps grâce à un bouquin trouvé par hasard et que je ne connaissais pas. Mais cette erreur m'a donné l'idée d'une autre histoire. C'est en constante évolution. La jeunesse n'est pourtant pas une série historique. FC : Oui je suis d'accord, mais il y a toujours des types pour vous écrire que vous avez oublié tel détail ou fait telle erreur de date… Déjà Jean-Michel prenait parfois de grandes libertés avec la réalité historique et c'est le souffle de l'aventure qui finit par tout emporter. Mais je tiens quand même à une certaine précision historique pour aborder la fiction. Michel, avez-vous l'impression d'orienter la série par vos envies ? MBD : C'est évident. Dans le précédent, je voulais vraiment dessiner des troupeaux de vaches et des vrais cow-boys. C'est d'ailleurs amusant de mettre ça dans une histoire de cette époque-là. Pour cet album, il y a très longtemps que je voulais dessiner des trains. Ça me démangeait, c'est vraiment un très beau truc. François me renvoie la balle de façon délicieuse. Mais je n'ai pas de vision à long terme de la série, c'est plutôt le domaine de François. Il fait un quasi-travail de voltigeur au milieu de toutes ces pistes lancées. Moi j'interviens plus au niveau des univers, des ambiances et des envies graphiques… J'ai hâte par exemple de réaliser cette fameuse histoire située dans les bayous… Je viens de voir aussi ce film vraiment magnifique sur les régiments noirs, Glory, ça donne des directions, il y a sûrement quelque chose à faire dans cet esprit-là. Dernier Train pour Washington clos le cycle entamé tous les deux ? FC : Non ! Il ne s'achèvera qu'au suivant, Il faut tuer Lincoln. Avec Michel, j'ai trouvé d'autres directions en cours d'histoire qui nous ont amenés à étoffer le récit. Vous êtes prisonnier du rebondissement incessant propre à l'écriture feuilletonesque de Charlier ? FC : Pas du tout, Jean-Michel disait que ce n'était pas des ficelles sur lesquelles il tirait mais sur des câbles ! On est un peu dans le même cas. Je trouve cela très amusant. C'est le jeu. Avec Michel, nous n'avons pas envie de traiter La Jeunesse de Blueberry à la manière de La Guerre des tranchées de Tardi. Son propos est différent, adulte et réaliste. Tout le monde sait que la guerre de Sécession a été, toutes proportions gardées, tout aussi dramatique que la Première Guerre mondiale, mais ce n'est pas l'objet de notre travail. Nous voulons rester dans le feuilleton et, d'une certaine façon, fuir la réalité ou jouer avec, à travers ses miroirs déformants. On sent chez vous un plaisir évident à travailler ensemble. FC : On s'entend vraiment très bien. Nous savons tous les deux que nous travaillons sur quelque chose qui ne nous appartient pas mais on se l'approprie quand même. On essaie d'apporter notre pierre au mythe qu'est Blueberry. Le plaisir est plus intense. MBD : François est déjà un mec très sympa et puis aussi un grand pro. Tout est au service du dessinateur. C'est équilibré, parfaitement composé, c'est un très bon guide. En même temps, je sens qu'il ne veut rien m'imposer. C'est vraiment très agréable. Sa manière de crobarder les scénarios ne vous gêne pas ? MBD : Pas du tout. Au début j'aurais pu le penser. Et, si sa vision ne me plaît pas, je suis libre de composer mon image autrement. Il le fait dans un style un peu cartoon, tellement différent du mien que cela ne peut pas se télescoper. Ce qui est drôle, malgré ce style cartoon, c'est que sa façon de composer est extrêmement réaliste. Ce n'est pas de la caricature : les angles, les points de vue, le cadrage, les perspectives, tout cela est très réaliste. C'est comme au cinéma, ça m'est très utile. Comment vous, scénariste de La Jeunesse, recevez-vous les nouveaux albums de la série traditionnelle ? Y a-t-il des interactions entre vous ? FC : Il ne peut pas y avoir d'interactions entre les histoires puisque nous avons un cadre très strict limité à la guerre de Sécession. Mais la parution des deux séries permet d'être souvent présent en librairie, ce qui n'est pas pour déplaire à notre cher éditeur. Blueberry implique quand même, dans la conception de ses créateurs, une dimension biographique. FC : Bien sûr, nous respectons totalement sa biographie telle qu'elle a été énoncée dans Ballade pour un cercueil, dans le laps de temps qui nous a été accordé, c'est-à-dire les années de guerre. Cela dit, rien ne nous empêche de sortir du cadre de la guerre, à partir du moment où nous restons dans ces années. On pourrait tout à fait parler, par exemple, des régiments cheyennes ou situer une histoire en Louisiane comme on en a le projet Michel et moi. Vous imaginez un jour reconnecter La Jeunesse avec Fort Navajo ? FC : C'est inévitable puisque, à force de dérouler les dates, nous finirons par arriver au bout de la guerre de Sécession. Cela dit, on peut aussi s'autoriser un retour dans le temps. Pour l'instant nous nous en tenons à la chronologie, c'est-à-dire, grosso modo, de la campagne de Sheridan d'un côté et de l'avancée de Sherman de l'autre. Vous avez apporté une petite touche d'humour dans les derniers albums. FC : Vous voulez sans doute faire allusion à l'apparition de Scarlett O'Hara et Rett Butler ou encore des Tuniques bleues dans le dernier album ? Il s'agit juste de clins d'œil. La présence de Blutch et Chesterfield est un salut à Raoul Cauvin. On attend maintenant qu'il nous renvoie l'ascenseur… Déjà avec Colin Wilson, nous avions fait allusion au mécano de la générale et à Buster Keaton ! Mais il n'y a rien de systématique. Jean-Michel Charlier mettait également de l'humour dans Blueberry, mais d'une autre manière. Les Indiens ne vous manquent pas, Michel ? MBD : Je me suis fait une raison. Mais je ne lâche quand même pas l'affaire. Nous avons là aussi une piste avec les Indiens Cheroquee, dont beaucoup d'entre eux étaient éclaireurs. Avec tout ce que nous avons imaginé, nous avons de la matière pour 7 ou 8 albums au moins. Vous semblez prendre beaucoup de plaisir à animer la jolie Eleonor Mitchell ? FC : On avait très envie de créer une jolie espionne, façon Milady de Winter. C'est notre Lady X à nous. Une vilaine mignonne si vous voulez ! On n'a pas résisté à l'envie de la mettre en couverture cette fois-ci. Vous créez progressivement un petit univers autour de notre jeune lieutenant. FC : Oui, il faut dire que nous ne pouvons bénéficier ni de la présence de Mac Clure, Red Neck ou Pearl. Alors on a créé Bowman, Grayson et Homer, parce qu'il fallait bien lui trouver des ennemis et aussi des potes pour jouer aux cartes et fumer de gros cigares, ce qu'il ne fait pas encore. J'aimerai d'ailleurs bien que Michel dessine Blueberry un peu plus négligé, mal rasé. On est en pleine guerre que diable ! MBD : Il est trop jeune et n'a pas encore de poils au menton ! Bien qu'en regardant mon fils de 17 ans, je me dis qu'il est peut-être temps de lui en coller quelques-uns au prochain album, c'est promis ! Le problème vient aussi de l'encrage qui a tendance à durcir les traits. Blueberry jeune est très difficile à dessiner. Je lui laisse ainsi un peu de sa jeunesse. Vous dessinez maintenant sur quatre bandes. C'est un gros changement après tout l'espace dont vous disposiez dans Cartland ? MBD : Disons que j'ai eu la chance de pouvoir dessiner sur trois bandes avant… Aujourd'hui, en contrepartie, j'ai beaucoup plus d'action à dessiner et cela me plaît bien. Mais c'est le jeu de la série. Les lecteurs attendent du mouvement, du rythme, on ne peut pas les décevoir ; c'est comme une complicité avec eux. Blueberry doit prochainement retourner sur les traces de sa mère. Est-ce prochain cycle ? FC : On ne sait pas encore, pour l'instant c'est juste une idée comme ça. Michel a très envie de dessiner la Louisiane mais c'est peut-être encore un peu tôt. L'épisode que nous entamerons après ce cycle s'intitulera Le Boucher de Cincinnati. Après on verra. Il faudrait faire des repérages sur place et on attend que notre éditeur nous y envoie… Vous venez juste de recevoir les dernières planches du nouvel album. Quel effet ça fait ? FC : C'est toujours un plaisir immense. Il faut dire que mes pages sont écrites depuis six mois parfois. C'est une découverte à chaque fois. Je vous recommande par exemple la dernière page de l'album, qui est une image unique… Magnifique ! Christelle Favre & Bertrand Pissavy Yvernault

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Kaarib ou la piraterie fantastique

  En novembre, à l'heure des premiers frimas hivernaux, une nouvelle série, au titre évocateur, va paraître : Kaarib. Une surprenante histoire de piraterie-fantastique, incitation parfaite à prendre le large dans la mer des Caraïbes… Attendez-vous à être surpris, oubliez vos certitudes cartésiennes, cette série qui titillera votre imaginaire bénéficiera d'ailleurs d'une préface signée Pierre Dubois. Enfants, les histoires de flibuste vous faisaient rêver ? JPK : Hormis Albator, pas plus que ça, mais est-ce encore de la flibuste ? La science-fiction m'a davantage marqué, de Galactica à Mœbius. L'intéressant dans les histoires de pirates, c'est qu'il s'agit d'un genre très codifié, qu'on a plaisir à transgresser. En outre, c'est très riche esthétiquement. DC : Erroll Flynn me casse les pieds, et Monkey Island 2 devrait être étudié à l'école. J'ai lu Stevenson à dix ans, et dans la foulée j'ai gobé l'adaptation Disney avec Robert Newton (décente -, bien plus tard, j'ai vu la version de Victor Fleming, et j'ai compris la vie). Mais le top, c'est Arthur Gordon Pym, là j'ai vraiment pris une claque - parce que Poe annonce Lovecraft et la dérive cosmique du genre pirate. La flibuste ne m'intéresse que pour ses inexactitudes, sa poésie salée aussi, parce que c'est dans la faille historique que se trouve l'originalité. Pour vous l'univers de Kaarib serait plutôt : un film d'animation genre Peter Pan, un téléfilm britannique genre Chapeau melon et bottes de cuir, un film à grand spectacle genre Les Révoltés du Bounty ? JPK : C'est une aventure intérieure, mais spectaculaire. DC : A terme, Kaarib sera probablement plus proche du Prisonnier que de Steed et Peel - même si la référence est évidente. Kaarib tire ses principes du sérial, mais aussi de l'animation, pour ses couleurs et son refus du réel. Disney est important aussi, mais je préfère très nettement l'ambiance de Pirates of the Caribbean à celle de Peter Pan, plus cheap. Qui sont les Davy Jones' Locker ? DC : Ce serait plutôt : " Qu'est-ce que le Davy Jones' Locker ? " C'est une sorte d'enfer, un tout petit enfer, presque un placard, car les pirates sont faits pour l'enfer et les placards. Quand un pirate meurt, son âme part au Davy Jones' Locker, pour boire du rhum, beaucoup de rhum. Mais le Davy Jones' Locker est aussi le nom de code d'une faction d'espions opérant dans les Caraïbes à la fin du XVIIIe, et qui prend ses ordres de Barbe Noire. Ils ont la réputation d'être différents des autres pirates. Lorne est un Anglais qui ne parle pas beaucoup, et sourit encore moins. Fido est jeune, violent. On dit qu'il a été trouvé, enfant, emballé dans un Jolly Roger. Et Sarah est peut-être une sirène. Et c'est une vraie rousse. JPK : Ce sont les pirates les plus sexy des Caraïbes. Lequel de ces personnages vous ressemblent le plus ? DC : Sarah. Ça doit être mon côté aquatique. JPK : J'ai l'impression qu'ils me ressemblent tous, mais à un âge différent ! Tous les trois sont en quête de quelque chose, qu'il s'agisse de leur origine, ou de leur destinée. Je pense que chacun peut s'identifier facilement aux personnages, ce ne sont pas des héros classiques. Ils ont des fêlures, une sacrée part d'ombre. Quel sera le rôle véritable de Barbe Noire ? JPK : Celui d'un terrible catalyseur, sans aucun doute. DC : Le Barbe Noire de Kaarib est une ombre, un hors-champs qui scrute l'action, caché quelque part, dans un placard peut-être. Kaarib est une conspiration. Je vais faire mon petit Churchill et mentir. A l'époque de Kaarib, la toute fin du XVIIIe, Barbe Noire - on peut aussi l'appeler Edward Drummond, ou Edward Teach - est censé être mort depuis quatre-vingts ans, coulé par Maynard. Barbe Noire, c'est déjà du mythe à grande échelle. Il n'est pas rare d'entendre les voyageurs raconter comment ils ont confondu son fantôme, avec celui du démon Davy Jones. Lequel est le bon ? Le pirate sanguinaire ? Le zombi ? Le marin de Bristol ? C'est une soupe de rumeurs et de malentendus. Ça n'a aucune importance. David, une phrase pour présenter Krassinsky C'est un chic type. Jean-Paul, une phrase pour présenter Calvo Une grenade dégoupillée. Et votre coloriste ? JPK : Claire (Champion) fait plus que coloriser les pages de Kaarib, elle les transcende. La grande classe ! DC : Quel talent ! Quelle pire critique pourrait-on vous faire ? DC : " J'ai tout compris à l'histoire ! " JPK : " C'est pas un peu ringard, les pirates ? " Le meilleur compliment ? DC : " Quelle paire de seins ! " JPK : " Meilleur album rock 2001 " François Le Bescond dialogue d'auteurs… DC : Après des années en solo, ça te fait quoi de bosser avec un scénariste ? JPK : C'est différent, bien sûr. Il n'y a pas la nécessité d'être sur tous les fronts, je peux me concentrer sur le dessin, c'est agréable. Et puis, la collaboration fait naître des choses qu'on n'aurait pas trouvé seul. DC : C'est qui ton idole ? JPK : Jimmy Page. DC : Tes grenouilles vont bien ? JPK : Oui, surtout lorsqu'on leur donne des grillons à manger. JPK : Ecrire un roman, écrire une bande dessinée, quelle différence ? DC : On se sent moins seul dans la BD. On apprend l'humilité, aussi. JPK : Parlons de piraterie contemporaine. Si les internautes s'échangent tes livres (à la manière Napster), comment réagis-tu ? DC : Je suis totalement pour. JPK : Qui sont tes amis imaginaires ? DC : Je n'en ai plus. Ils sont tous morts. Kaarib T. 1, La Dernière vague, préface de Pierre Dubois, couleur de Claire Champion. Un cahier de 8 pages présentant des inédits sera proposé dans la première édition.

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La seconde vie de Mic Mac Adam

  L'écrivain-détective en kilt va bientôt reparaître aux devantures des librairies. Qui s'en étonnerait ? Il appartient à un monde où personne ne meurt : la bande dessinée, d'où l'on a vu, de Zig et Puce à Blake et Mortimer, ressusciter plus d'un personnage avec des bonheurs divers. Pour la seconde vie de Mic Mac Adam, totale félicité ! Dans Les Amants décapités, Mic Mac a mûri, bonifié, pris du poids (psychologique), gagné en humanité – et en humanisme. Le label "Les Nouvelles Aventures de Mic Mac Adam" n'est pas usurpé. Si la BD faisait la une des journaux télévisés, on imagine d'ici les titres. Sur une chaîne privée, "Ils auraient pu ne jamais se rencontrer, La Lettre de Dargaud les a réunis" ; "Un nouveau tandem d'auteurs est né", en style service public. En 1997, André Benn lit une interview de Luc Brunschwig dans La Lettre de Dargaud. Le dessinateur bruxellois décèle une communauté de vues, lui que démange l'envie de redonner vie à Mic Mac Adam. Pendant les séances de signatures et par courrier, les lecteurs ne cessent de lui en parler, de réclamer de nouvelles aventures. Sept albums (deux chez Dupuis, trois aux Editions Fleurus, plus Diableros publié par Loup en 2000, et une réédition en intégrale chez Dargaud dans la collection "Classiques du Rire") appartiennent au panthéon collectors. Notre Ecossais de choc aura ainsi connu une existence mouvementée et, disons-le, plusieurs vies... Paroles d'auteurs "Cela m'a pris quatorze mois pour terminer Les Amants décapités, comme si j'abordais un nouveau personnage. J'ai réalisé trois à quatre mille croquis et de multiples aquarelles, avant de me lancer vraiment dans le dessin de ce nouvel album. Mais la récompense est là : je suis content de me replonger dans l'univers de Mic Mac Adam." André Benn, 4 juillet 2001 "Ce qui m'a décidé à repenser de nouvelles aventures de Mic Mac Adam ? L'enthousiasme avec lequel André (Benn) m'en parlait. C'est rare de rencontrer un auteur immergé à ce point dans la vie et le destin d'un ou de plusieurs de ses personnages. Très vite, nous avons décidé de faire une croix sur le passé de Mic Mac. Le travail et notre collaboration sont devenus soudain très faciles." Luc Brunschwig, 4 juillet 2001

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Un “Signé” Vehlmann

Son diplôme d'ESC Nantes en poche, Fabien Vehlmann réalise vite que la vie est bien trop courte pour s'ennuyer dans une vie de cadre bancaire ou autre joyeuseté de ce genre : non, c'est décidé, un jour il deviendra scénariste de BD ! Pari aujourd'hui réussi puisque Vehlmann est rentré par la grande porte en signant coup sur coup des albums chez Dupuis avec Bodard (Green Manor), Dargaud avec Gwen (Samedi & Dimanche) et, en octobre, au Lombard avec Gazzotti & Meyer (Des lendemains sans nuage). Et ce n'est pas fini… Vous avez fait vos débuts dans Spirou. Le journal de votre enfance ? Je lis effectivement Spirou depuis que je suis tout gamin. Faut dire aussi que c'est une tradition familiale : chez nous, on lit Spirou de père en fils, sinon on est fouetté (rires) ! Je me rappelle encore de l'émerveillement avec lequel j'ai découvert des séries telles que Les Innommables, Soda, ou encore Le Bestiaire fantastique de Pierre Dubois et Hausmann. Autant de petites pierres précieuses qui ont nourri mon imaginaire. Du coup, vous pouvez imaginer ma joie quand mes premières pages ont été publiées dans ce journal. Et puis la rédaction est vraiment ouverte à tous les délires, ce qui m'a permis d'essayer plein de styles différents. Spirou est vraiment un des derniers “ laboratoires ” où de jeunes auteurs peuvent apprendre leur métier sur le tas. Green Manor développe un humour anglais qui fait mouche dès les premières pages. Quelle a été la genèse de cette série ? A l'origine, je ne comptais évoquer le club du Green Manor que dans une seule histoire courte, Délicieux frissons. Et puis j'ai eu la chance de voir cette histoire illustrée par Denis Bodart : le résultat était épatant, et la rédaction de Spirou m'a demandé si je ne pouvais pas envisager d'écrire d'autres histoires dans ce club so british… Comme j'avais encore quelques idées de “ meurtres impossibles ” en tête, et que Denis était partant, je me suis lancé dans l'écriture de cinq autres nouvelles criminelles : assassins qui n'existent pas, enquêteur se transformant en serial killer par conscience professionnelle, meurtre artistique, tout y est passé… Ou presque puisque je travaille actuellement au deuxième album ! Autre rencontre, autre univers : avec Gwen vous avez créé Samedi & Dimanche. Humour, toujours, mais cette fois sur une île et avec deux… lézards dans les rôles principaux. Amusante idée ! L'idée de départ est de Gwen : c'est lui qui m'a proposé d'animer ces deux personnages, et de leur faire vivre des péripéties poétiques sur un îlot perdu. Mais il m'a ensuite laissé carte blanche pour m'approprier cet univers, ce que j'ai fait avec un grand plaisir : j'adore pouvoir imaginer des histoires complètement délirantes sur des piafs qui se mangent des sens interdits, un monstre invisible qui se demande pourquoi tout le monde l'ignore ostensiblement dans les soirées, ou un tyrannosaure qui monte des entreprises d'épluchage de palmier… Tout est possible sur cet îlot, et c'est ça qui me plait ! Un célèbre journal s'est longtemps “ amusé à réfléchir ”. Pour vous, “ Poisson Pilote ” est-elle la collection qui permet justement d'innover, de surprendre ? C'est à n'en pas douter la seule collection où nous pouvions développer le concept de Samedi & Dimanche. En effet, nous avons cherché à créer un ton très singulier, à mi-chemin entre l'univers des enfants et celui des adultes. C'était un pari risqué, mais les responsables de “ Poisson-pilote ” ont cru en nous. Qu'ils en soient ici (brosse-brosse) publiquement (brosse-brosse) remerciés (brosse-brosse-brosse). Si je vous dis que vous avez le caractère de Samedi et le physique de Dimanche ? – bon d'accord, vous ne ressemblez pas vraiment à un lézard, mais bon… Si vous me dites ça en public, Môssieur, je vous giflerai sans attendre ! M'enfin bon, je dois reconnaître que je suis grand comme Dimanche, et que je me pose 1 000 questions à la minute, comme Samedi… Mais j'ai aussi certains des traits de caractère de Dimanche, qui est parfois un peu trop nonchalant et peureux. En fait, je crois que Gwen et moi avons mis un peu de nous deux dans chacun de ces personnages, et que c'est pour ça que nous y sommes si attachés !… “ Samedi et Dimanche, c'est moi ”, aurait sans doute dit Emma Bovary si elle était encore de ce monde, la bougresse. Si vous étiez un animal, vous seriez… une grosse mite. Pour pouvoir enfin manger des pulls sans que tout le monde me regarde avec stupeur !! Des lendemains sans nuage sera un one-shot édité dans la collection “ Signé ” du Lombard. Quel sera son propos ? C'est une vision grinçante de l'avenir que la science pourrait bien nous réserver : un futur qu'on voudrait parfait mais qui se révèle bourré de petites contradictions bien humaines. Je me suis donc amusé à imaginer un “ monde meilleur ” où les égoutiers peuvent être emportés par un raz de marée d'excréments, et où les Jeux olympiques sont sponsorisés par des marques de dopants ! Alors bien sûr, j'en rajoute un peu… Mais malheureusement, plus la caricature est grosse, plus ça a de chance d'arriver dans la réalité ! Gazzotti vient de l'humour, Meyer du réalisme. Cet album semble se situer à parfait mi-chemin des deux genres. Comment avez-vous réussi à accorder vos violons ? Ca s'est passé très naturellement : Ralph et Bruno se connaissent très bien, et je crois que leur complicité graphique a été immédiate. Et la synthèse à laquelle ils sont parvenus, à mi-chemin entre l'humour et la noirceur, sert parfaitement mon scénario. Parmi vos projets il y a une nouvelle série ambitieuse, Le Marquis d'Anaon, qui verra le jour en 2002. Et cette fois vous surprendrez sans doute vos lecteurs avec un ton à la Sleepy Hollow très angoissant… Le Marquis d'Anaon est en effet une série flirtant avec le surnaturel, et se déroulant au début du XVIIIe siècle. Il y sera question d'un étudiant en médecine qui débarque sur une île bretonne pour devenir le précepteur du jeune fils d'un noble. Mais l'enfant est assassiné, et des apparitions morbides font peu à peu basculer le héros dans un monde très éloigné du “ Siècle des lumières ”, un univers plus proche des secrets sanglants de Barbe Bleue que des encyclopédies de Diderot… Ce projet est dessiné par Matthieu Bonhomme, un jeune gars bourré de talent et dont les planches vous couperont le souffle ! Ensemble, nous cherchons à recréer une atmosphère de mystère, comme on la trouve dans des livres tels que L'Ile aux trente cercueils ou Le Chien des Baskerville. D'autres projets ? Je bosse actuellement sur deux autres projets de série : l'une avec Ralph Meyer (où il sera question d'une intelligence artificielle “ ratée ” poursuivie par la moitié de la population terrienne) et l'autre avec Bruno Gazzoti, où l'on s'intéressera à un groupe d'enfants plongé dans une situation impossible… Mais je n'en dis pas plus, pour préserver la surprise ! Si vous n'étiez pas devenu scénariste, quel métier exerceriez-vous vraisemblablement aujourd'hui ? Sans doute fabricant de jouets, j'aime bien les enfants – ou alors j'aurais dealé de la coke, parce que j'aime bien l'argent aussi ! (rires). Eric Gauvain

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Viva Las Vegas ! — et sa pin up

Après la WW II, après la Cold War, here comes Las Vegas années 60 ! En vedette, la toujours affolamment exciting Dottie. On parle d’elle en superlatifs, dont le nombre ne peut être contenu par aucune gaine Scandale, aucun Wonderbra, aucun Cœur Croisé. Dottie et ses admirateurs énamourés et ses 46 pages particulièrement hot, folks ! J’ai déjà abordé l’épineuse question de mes relations avec Yann, ancien squatter de la maison de Spirou à la fin des années septante — couleur locale, c’était à Bruxelles. Inutile d’y revenir. Sauf que l’on comprendra la joie mauvaise qui s’empara de moi à la lecture du nouveau Pin Up. Le genre d’exsudation aussi insensible à la raison qu’à une salve de Fébrèze. Nous sommes donc à Vegas dans les années 60. Preuve : les paquebots Cadillac, les croiseurs Lincoln et les chars volants Studebaker qui chaloupent entre le Sand’s, le Stardust, le Flamingo et le New Frontier. Dottie est devenue physionomiste au Flamingo. Un boulot qui consiste à débusquer le ratissé de tables de black jack, le noble artisan de dés mercurisés ou le citoyen oublieux de dettes orphelines de paiement. C’est qu’elle a l’œil, Dottie, pour restituer la calvitie dissimulée sous l’efflorescence frisée de la moumoute façon troupeau du Shetland ; le gris naturel sous le roux L’Oréal. Des lunettes noires ? Elle se sent insultée. Dans la chirurgie esthétique elle ne voit que des coups de scalpel qui ont resculpté le triple menton, les bajoues avachies, le tarin à la limite du fourmilier. Comme toujours, la meilleure. Et c’est rien dire de sa silhouette, le gabarit, les méandres, les contours et les tours, la ligne, la stature… Un que cela fait jacter, c’est " The Voice ", Frank Sinatra himself. Il voit Dottie, il fond. Parfois, il se dissout dans l’alcool. Il a besoin de ça, Frankie, pour se donner du courage. Dottie, on ne la lui fait pas : ce genre de macho, c’est de la mozzarella – dur à l’extérieur, mou dedans. Bref, le crooner fait quelques apparitions dans Las Vegas, pour se ramasser une baffe à chaque fois. Ça n’arrête pas ! “Hey, poulette, devine qui c’est ?” Baf ! “Superbe joujou. J’adore…” Baf ! “Voilà déjà quelques chips, comme amuse-gueule” Baf ! Entre deux corrections, il accumule des conneries de sale gamin teigneux. Ce qui s’appelle une idole vue sous un angle pas très avantageux. Et conforme à la réalité, si on veut bien lever les yeux des panades hagiographiques. Bah ! Tant que Nick Rodwell ne s’intronise pas gardien de la mémoire du grand homme… Il faut reconnaître que le grand homme ne simplifie pas une intrigue passablement tordue, comme seul Yann peut en jeter dans la friture. Car qui dit Sinatra, dit famille. Vous voyez le genre. Et par le plus grand des hasards, les années 60, c’est la décennie de la mafia, le jeu des familles qui veulent prendre le contrôle de Las Vegas. Années 60… C’est là que mon sang n’a fait qu’un tour. Entre deux volées de gifles, Frankie sirupe Strangers in the night. Bingo ! L’erreur, la perle de pinaillage : Strangers, c’est la fin des années 60, facile, alors que l’action, les tacots et les décors de Las Vegas, c’est 62-63 par là. Pour une série qui surfe entre les balises de l’Histoire, voilà la belle boulette. Pas du tout ! “La série Pin Up évolue, m’explique Yann. Dottie dépendra moins de l’exactitude historique : elle appartiendra aux années 60, sans indication plus précise. Nous nous permettrons quelques libertés qui serviront l’histoire plutôt que l’Histoire.” Raté. Si on se met à réorienter les séries pour couper l’herbe sous le pied des pinailleurs… Qui ne manqueront pas de relever que le Bunny One, l’avion que Hugh Hefner arma en 1971, sort ses flaps six ans trop tôt dans Las Vegas, et pour les mêmes raisons. Car M. Playboy fait son entrée par la bande (dessinée) dans la vie de Dottie. Il lui offrira même un emploi. Pas celui d’une Bunnie, ni d’une playmate en poster du mois, petits cochons. A vous de le découvrir dans les deux albums qui composeront cette époque. Deux albums et pas trois comme pour les deux précédentes sagas ? Philippe Berthet : “On s’est rendu compte que le rythme d’une époque en trois ans, c’était trop long. Comment ‘vendre’ un deuxième album ? Ce n’est pas le début, il ne comporte pas la fin. C’est une sorte de bâtard que les lecteurs n’affectionnent pas. Deux volumes, cela nous oblige à resserrer l’action. Je travaille en ce moment sur les six premières planches du second épisode, et ça démarre en force.” A nouveau rythme, nouvelle méthode de travail ? Je me suis laissé dire que tu poussais moins loin les crayonnés ? Philippe Berthet : “En fait, pour des raisons éditoriales, je fournissais mes crayonnés poussés à l’extrême, qui étaient ensuite scannés. Ce n’est qu’après que je passais à l’encrage. Maintenant, l’étape de reproduction des crayonnés a été supprimée. Je puis donc corriger plus librement à l’encrage les choses qui ne me plaisent pas dans les crayonnés.” Comme si la décontraction du dessinateur rejaillissait sur le scénariste (à moins que ce ne soit le contraire), les cases sont émaillées de clins d’œil, d’allusions. N’est-ce pas, M. Schlirfopoulos ? Un nouveau jeu : découvrir les personnages cachés dans les pages de la série Pin Up, dont plus personne n’osera dire qu’elle ne s’adresse pas à toutes les tranches d’âge.Hé oui ! Dottie plonge dans le bain polar pour notre plus grande joie, comme disent les dossiers de presse. En quelque sorte, elle rejoint les rangs des ladies détectives. Rassurez-vous, elle a devant elle quelques belles années avant que, de dos, on ne la confonde avec miss Marple. Alain De Kuyssche

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Des vacances aventureuses, avec Barbe Rouge.

  En juillet, paraît la dernière compilation des aventures du Démon des Caraïbes, par Christian Gaty et Jean Ollivier, ainsi que le dernier volume du cycle de La Jeunesse de Barbe Rouge, Les Mutinés de Port-Royal, dessiné par Daniel Redondo et écrit par Christian Perrissin. Ce dernier, qui a également repris la scénarisation de la série mère, avec Marc Bourgne au dessin, nous raconte sa première rencontre avec le pirate (Charlier ?) le plus célèbre de la bande dessinée. J’ai découvert l’univers de J.-M. Charlier dans Le Vaisseau Fantôme. Un choc. J’avais huit ans, c’était un cadeau de… Communion. Que cette première histoire de Charlier aie été un Barbe-Rouge n’a rien d’étonnant, je me passionnais déjà pour la Marine à voile. Ce qui m’a tout de suite troublé dans le Vaisseau Fantôme, c’est que Barbe-Rouge en est le personnage principal, mais comme c’est un pirate sanguinaire, à la trogne patibulaire, je ne parvenais pas à m’identifier à lui. (J’étais communiant…) Et comme il me fallait à tout prix un héros pour pouvoir continuer ma lecture en toute quiétude, c’est le second du Faucon Noir, Moralès, qui a eu ma faveur. Je me souviens parfaitement du déclic : une vignette, au tout début du récit, dans laquelle Moralès avoue avoir peur du mystérieux vaisseau qui croise, tous feux éteints, la route du Faucon Noir. J’aurais dû me méfier, un héros qui a peur, ce n’est pas bon signe. Mais au milieu de cet équipage de brutes épaisses, un peu d’humanité me rassurait : à moi aussi, il fichait une sacrée trouille, ce vaisseau fantôme. Alors, va pour Moralès… Hélas… Quinze pages plus loin, Moralès commet à mes yeux, l’irréparable : Pendant que Barbe-Rouge et une partie des pirates sont partis piller l’or de Vera Cruz, Moralès et ses mutins s’emparent du Faucon Noir et abandonnèrent leurs frères de la côte à l’ennemi ! Je ne pouvais accepter pareille trahison. Pourtant, quand on y réfléchit bien, trahir un démon… y avait pas de quoi fouetter un chat. Mais… j’étais communiant. Exit Moralès et adieu Barbe-Rouge, massacré par les troupes espagnoles. Plus de protagonistes et je n’en étais qu’à la moitié du bouquin ! Je me raccroche à Baba et Triple Patte, prisonnier à fond de cale. Ils ne m’étaient pas antipathiques, ces deux-là, mais je sentais bien qu’ils n’étaient que des seconds rôles, des faire-valoirs. Tant pis, je les accompagne jusqu’en Bretagne, où ils retrouvent le fils adoptif de Barbe-Rouge : Eric. Un jeune et beau capitaine, courageux et fin bretteur. Il était enfin là, mon héros ! Mais c’était aussi la fin de l’album. Vite, la suite ! Trois mois à patienter, je l’aurais pour mon anniversaire… J’ai donc neuf ans quand je retrouve Eric, bien décidé à m’embarquer avec lui pour la Terre de Feu, cap sur L’Île de L’Homme Mort. Le récit promet d’être captivant. Je l’ai trouvé d’un fade ! Une histoire pourtant bien ficelée : suspense et coups de théâtre, tempêtes et abordages… bref, du Charlier en grande forme. Mais je ne retrouvais pas la fascination du Vaisseau Fantôme. Eric m’ennuyait. Son honnêteté, son intégrité, sa force physique et morale… il était trop parfait, et j’en regrettais presque les faiblesses d’un Moralès. Je n’avais qu’une hâte, retrouver mon Démon des Caraïbes (qui n’était pas mort, vous l’aurez deviné). Avec le Vaisseau Fantôme, Charlier m’avait ouvert les yeux sur un univers bien moins manichéen que celui de mes lectures précédentes. Grâce à lui, j’allais avoir envie de découvrir toute une pléiade de personnages toujours plus complexes. Blueberry d’abord. Puis Corto Maltese, Jonathan, Alak Sinner, Vic Valence… Et si, aujourd’hui, on doit établir une passerelle entre le Barbe-Rouge de Charlier et ma vision du pirate, elle se situe là : dans ma volonté de naviguer en eaux troubles, dans le sillage de compagnons de fortune sans gloire et sans panache. Mais tellement humains. Alors, merci Monsieur Charlier Christian Perrissin

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Le polar urbain de Christin & Goetzinger

  Ce joli mois de mai (pourvu qu’enfin les nuages nous entendent !) est enrichi par le lancement (chez Dargaud) d’une nouvelle série animée par Pierre Christin et Annie Goetzinger, Agence Hardy, dont le premier volume (elle en comportera trois) s’intitule Le Parfum disparu. Les créateurs de quelques fameux “portraits souvenirs” éclairent ici quelques aspects de leur longue et fructueuse collaboration. Annie Goetzinger, lisiez-vous des bandes dessinées dans votre enfance ? Oui, de toutes sortes. Dans mon journal de BD, une histoire de danseuse de ballet et dans le magazine de maman, Confidence, celle d’un détective à lunettes en manteau de tweed. J’ai découvert plus tard que la première histoire était de J.-C. Forest, La Princesse Étoile et l’autre d’Alex Raymond, Rip Kirby. Votre entrée en bandes dessinées, dit-on, fut un accident ? A cette époque, mes vocations me faisaient hésiter entre devenir ballerine à l’Opéra ou bonne sœur de saint Vincent de Paul, à cause de la cornette. Cette jolie coiffe blanche qui ressemble à des ailes d’oiseau. Le costume, déjà ! La BD est venue bien plus tard quand j’étais aux Arts appliqués. Je suivais la filière “figurine de mode”. J’ai commencé un stage au cours de Georges Pichard (dessinateur de Paulette et de Marie Gabrielle de Saint Eutrope). C’était, c’est un formidable monsieur qui corrigeait dans les marges, posait un papier-calque sur nos esquisses pour redresser nos maladresses au lieu de gommer rageusement. Jamais une phrase assassine, tout au contraire : il nous faisait rire de nos erreurs, il nous parlait de littérature, d’Histoire, de cinéma, de peinture… et pas trop de BD. Marrant, non, pour quelqu’un qui porte toujours la réputation de “pornographe” ? ! Troisième question “bateau” : c’est difficile d’exercer ce métier quand on est une femme? Non, mais c’est fatigant de s’entendre poser cette sempiternelle question, d’ailleurs je vous vois rougir… Vous avez la réputation d’être une femme de caractère… J’aurais adoré garder l’innocence de mes six ans. Le jour de mon entrée à l’école primaire, je ne suis pas parvenue à déboutonner mon manteau toute seule. Je pleurais dans le couloir et personne n’est venu m’aider. Après… après, la vie se déroule comme un voyage dans l’Orient Express pour certains moments et dans “le train fantôme” pour d’autres. Parmi vos premiers scénaristes, il y a eu Jacques Lob… Tiens, il manquait ce gaillard-là, au palmarès de la nostalgie ! Un pointilleux de la ponctuation, sourcilleux du mot juste, on ne changeait pas une virgule de son scénario sans de longues transactions arrosées de blagues et de boissons capiteuses. J’ai vu Jacques payer – discrètement – de sa poche une BD refusée par un journal dont il était l’éphémère rédacteur en chef. Un seigneur ! À quelques exceptions près, vous avez toujours fait appel à des scénaristes… Oui. À part Casque d’Or et Barcelonight, j’aime surtout raconter des histoires courtes, des nouvelles. Je n’aime pas beaucoup les salons, les séances de dédicaces, toutes ces “foires aux vanités”, mais je respecte infiniment les lecteurs qui achètent mes livres. Je préfère leur donner à lire des ouvrages écrits par d’autres que leur fourguer mon ego à tout prix. Dans les années soixante-dix, vous collaborez avec Victor Mora – un des plus inventifs scénaristes espagnols de l’après-guerre – sur la série Félina. De nombreux amateurs se demandent pourquoi cette série a été interrompue ? J’ai vécu douze ans entre Paris et Barcelone. Je prenais le Talgo, un beau train de nuit, chaque mois. Au sortir de la gare d’Austerlitz, je voyais une publicité peinte sur les murs le long des voies du chemin de fer : “La fermeture éclair Prestil vous souhaite bon voyage.” Je quittais la France de Giscard le cœur léger. Au-delà des Pyrénées, dans la capitale renaissante de la Catalogne, il se passait des choses passionnantes en politique, au cinéma, au théâtre ou dans la rue, le nez en l’air tout simplement. Mes collègues espagnols se sont bien défoulés durant cette période. Quarante ans de franquisme à rattraper ! Félina, malgré ses aficionados, n’a pas eu le succès que méritait le talent de Victor, par ailleurs plus chanceux avec son personnage fétiche “El Capitan Trueno”. Victor a continué à publier d’autres scénarios, des articles de journaux, des romans. Il a été dûment honoré, il y a peu, par la Creu de San Jordi, l’équivalent de la légion d’honneur en Catalogne. Pas une semaine ne s’écoule sans son coup de fil. Je n’imagine pas la vie sans ces fidélités-là. Que pensez-vous de la BD d’aujourd’hui ? Je la perçois d’une grande diversité. Je dis “perçois”, car les revues – beau vivier pour les jeunes talents – ont pratiquement disparu. On ne peut que le regretter, car Pilote, puis tous ses enfants adultérins, ont servi de banc d’essai aux néophytes. Les journaux ont le mérite d’imposer des délais, une urgence en général. Et puis, il y a l’émulation. Pas celle des fanzines, une bande de chouettes copains. Non là, tu es tout(e) petit(e) à côté des plus confirmé(e)s. Ça évite quelques grosses têtes. Au petit jeu d’hier et d’aujourd’hui : hier, c’était le temps des idéologies. On s’y prenait les pieds dedans. Aujourd’hui, c’est celui du marché. On semble s’y faire empoisonner. Vos préférences ? Chères idéologies ou foi du charbonnier, mais je préférerai toujours un sous-commandant Marcos quand il proclame qu’on peut être pauvre sans être un imbécile (pour faire court) contrairement à ce que pense M. Greenspan (président de la Réserve fédérale américaine) toujours émoustillé par les hausses du Dow Jones ou du Nasdaq. Et puis, c’est la rencontre avec Pierre Christin. Dans quelles circonstances ? À Angoulême, en 1975. Il m’a abordée sur les marches du grand théâtre en me disant qu’il aimait mon album, Casque d’Or. Moi, carrément dépassée devant le compliment : “Merci, M. Christin, je trouve vos scénarios formidables.” Mensonge éhonté, je n’avais pas encore lu ses BD avec Mézières et Bilal. Je me suis rattrapée depuis. Pour moi, il n’y a que deux genres de scénaristes. Ceux qui t’envoient leur scénario “clé en main” et les autres qui te racontent, écoutent tes commentaires et l’écrivent ensuite. Toute la différence entre le prêt-à-porter et la couture à façon. Votre première collaboration a été La Demoiselle de la légion d’honneur qui a fait grand bruit… Oui, cette “Demoiselle” a failli coûter sa légion d’honneur à notre éditeur, Georges Dargaud. Il tombait des nues, paraît-il, car il n’avait pas lu l’album, mais il l’a défendu auprès du grand chancelier de l’Ordre de l’époque. Il ne nous en a pas tenu rigueur. Après tout, ce parfum de scandale représentait une sorte de publicité gratuite. Vous avez réalisé ensuite un certain nombre d’autres ouvrages avec Pierre, des “Portraits Souvenirs” et, par la suite, La Sultane blanche, Paquebot, en “Long Courrier”, avant de vous attaquer aujourd’hui à l’Agence Hardy… J’avais envie de polar depuis le scénario de Paquebot, de lieux d’actions plus intimes, envie aussi de mettre en scène des personnages moins flamboyants. Pierre s’est prêté au jeu avec enthousiasme, car il aime Simenon autant que John Le Carré ou Eric Ambler. Moi de même. Après, je deviens conteuse par mes dessins. Mémoire, photos, croquis, tout est bon pour créer les ambiances et les personnages, en ayant présent à l’esprit qu’il faut mentir vrai pour être cru. Vous collaborez également une fois par semaine avec la presse classique, en donnant dans La Croix une illustration qui accompagne l’éditorial de Bruno Frappat. C’est tout à fait autre chose que la BD ? Par le passé, j’ai collaboré au journal Le Monde. J’illustrais des articles de différents journalistes. Mais avec Bruno Frappat, c’est une complicité hebdomadaire. Il me surprend à chaque chronique par sa lucidité et son talent de plume. De même qu’il rédige vite, je me dois de réagir sur ses phrases en l’espace de quelques heures après lesquelles un brave coursier vient chercher mon dessin autour de 17 heures. En BD, on peut avoir des ratés ou prendre du retard (hum, hum…), mais pas dans la presse. Vous avez une devise dans la vie, Annie Goetzinger ? “Que nos quiten lo bailao !” Ce qui veut dire, approximativement, “Que l’on nous ôte ce que nous avons dansé” ou “Que l’on tente de nous ôter…”. Ce n’est pas possible : on ne peut jamais nous retirer ce que nous avons dansé. Pierre Christin, Comment naît l’envie de raconter une chose plutôt qu’une autre ? Pourquoi la situer à une époque plutôt qu’une autre ? C’est presque toujours l’envie de faire vivre une femme à une certaine période que sont nés nos albums depuis qu’Annie et moi avons réalisé notre premier Portrait Souvenir : La Demoiselle de la Légion d’Honneur, qui évoquait l’austère éducation d’une jeune fille française dans les années 60. Avec La Diva et Le Kriegsspiel, plongée dans les années 40 pour suivre la carrière d’une cantatrice brisée pas la collaboration franco-allemande. Avec La Sultane Blanche, les années 50 pour accompagner l’aventure lointaine d’une Anglaise sur le fond de disparition de l’empire britannique. Pour Les Dames de l’Horizon réunies à bord de Paquebot, retour à l’immédiat après-guerre et à la décolonisation balbutiante, côté français cette fois-ci. Bizarrement, même une histoire contemporaine en son temps (les années 80), telle La Voyageuse de Petite Ceinture, peut désormais être lue comme témoignage du passé puisque presque tous les lieux qu’elle évoquait ont aujourd’hui disparu. Paradoxe : à la différence de beaucoup, Annie et moi-même n’avons jamais pensé faire de la bande dessinée “historique”. Ce sont tout simplement des sujets nous passionnant, des destinées nous fascinant, des lieux nous attirant qui ont fait que nous avons choisi telle ou telle décennie pour y placer nos récits. À force, si j’ose dire, ce qui devait arriver est arrivé et, dans les cas d’Agence Hardy, plein d’éléments un peu épars jusqu’alors se sont en quelque sorte rejoints. Nostalgie, sans doute, pour le Paris populaire de notre enfance qui est également celui de certains de nos films préférés. Mais aussi premières manifestations de la modernité dans un monde encore très archaïque (la DS, Europe N°1, la jeunesse — une idée neuve !). La guerre froide en arrière-plan, avec notre goût pour les romans d’espionnage. Une IVe République brinquebalante propice aux intrigues tordues. Oui, décidément, tout cela nous plaît. On y va ? D’accord, on y va, mais pour faire quoi ? Une femme, oui, bien sûr une femme, mais plus toute jeune quoique toujours très belle. Elle a eu des malheurs, mais elle est énergique : de l’abattage, d’accord, j’aime ce genre là ; elle a un assistant, un homme, le contraire de la pépée habituelle des détectives privés, tu vois ? (Annie) ; ouais, mais elle a aussi une belle bagnole ayant appartenu à son mari, il faut qu’elle soit libre de se déplacer, tu vois ? (Pierre). On pourrait mettre des détails personnels comme dans nos autres histoires, mon oncle ébéniste (Annie) ; oui, le jeune commis italiens de mon père parce qu’il y avait déjà des immigrés à l’époque (Pierre) ; on place ça dans le XIIe arrondissement, j’y avais une de mes premières petites amies (Pierre) ; ou dans les XXe, c’est là que j’allais à l’école (Annie) ; de toute façon, entre les deux il y a la place de la Nation, tu te rappelles de la Foire du Trône, c’était bien à l’époque, peut-être qu’on s’y est rencontré sans le savoir (Annie et Pierre) ? Nous allons désormais, comme à chaque album, pouvoir vivre à l’intérieur de notre histoire. Promenades dans le quartier et repérages photos. Chine pour trouver des documents d’époque, journaux, cartes postales, plans, tout est bon. Albums de famille où l’on va chercher des personnages (car l’élément autobiographique n’est pas si nouveau qu’on veut bien le dire en BD). Annie commence une maquette du bureau d’Édith passage du Rendez-Vous. J’ai des calepins partout avec des bouts de dialogue des pistes narratives. Tout est prêt. Téléphone : “Dis moi, Pierrot, puisque exceptionnellement tu n’es pas en voyage cette semaine, tu peux me faire une dizaine de feuillets pour lundi, ça te laisse le week-end pour travailler tranquille, hein ?” (Annie). À l’autre bout : “mmmmblmbl” (Pierre). P. Christin

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Rencontre à Scénario-city

Réunir les deux Jean, Van Hamme et Dufaux, pour une interview croisée relève déjà de l’exploit. Qu’attendre de leur rencontre — Panique à O.K. Colisée ou Maciste contre Jessie James ? Désigné volontaire et ne reculant devant aucun sacrifice, le kamikaze de La Lettre est descendu dans l’arène. Ils se sont retrouvés dans Main Street, Scénario City (banlieue de Brussels City), face à face. Regards d’acier, mâchoires serrées, doigts crispés. Sans se quitter des yeux, ils ont fait dix pas. Pas un de plus, pas un de moins. Et se sont assis à la table du restaurant pour commander un steak tartare précédé de croquettes aux crevettes. Et un petit côte-du-rhône, à la santé de Néron, Wayne Shelton et, tant qu’on y est, Largo Winch et Jessica Blandy. Il n’y avait qu’un pique-assiette, ce jour-là – votre serviteur-kamikaze. Van Hamme et Dufaux ne quittent pas l’actualité de ce printemps 2001. Un western (Western, avec Rosinski, au Lombard) et la grande aventure (Wayne Shelton, avec Denayer, chez Dargaud) pour le premier ; le second signe le troisième volume de Rapaces (dessin : Marini) et le troisième chapitre de Murena (en collaboration avec Delaby) toujours chez Dargaud. Jean DufauxC’est drôle, mes premières armes de scénaristes, je les ai aiguisées sur un western, une suite d’histoires courtes rassemblées sous le titre Hombre. Le personnage central en était un Indien, qui faisait de l’ombre aux héros traditionnels du western, le rancher, le cow-boy, le militaire… Jean Van HammeC’est drôle, mon premier scénario publié en album était une sorte de péplum, Epoxy, avec Paul Cuvelier. On était loin tout de même des Steve Reeves (Hercule ! Maciste ! Fils de Spartacus !) que j’avais vus pendant mon service militaire à Arlon… Jean DufauxLes références cinéma ont bercé tout le western BD. L’Homme de l’Ouest, d’Anthony Mann, et La Colline des Potences passent avant John Ford, John Wayne, Gary Cooper et tous ceux qui ont forgé l’imagerie du western. Et sa mémoire. C’est encore le cinéma qui donne notre vision de l’Antiquité. Quand Yves Schlirf nous a réunis, Delaby et moi, afin de mettre au point une collaboration, nous avons failli nous quitter sans avoir trouvé d’idée. Et puis, le déclic s’est fait sur le péplum. Immédiatement le cinéma est remonté à la surface de ma mémoire. J’ai vu passer Maciste, Spartacus, Kubrick, Fellini, encore Mann avec sa Chute de l’Empire romain, La Tunique… En revanche, je serais assez emmerdé si on me demandait, aujourd’hui, un western ! Le genre est pratiquement abandonné par Hollywood, car la mémoire du western a disparu de l’imaginaire américain. En plus, avec la réhabilitation des différentes ethnies, les native Américans pour ce qui concerne les Indiens, les ressorts et les ficelles du western traditionnel deviennent politiquement incorrects. Jean Van HammeLe problème du western, et cela vaut pour le péplum, c’est d’éviter les clichés. Les contourner, là, cela devient excitant. Dans Western, j’ai voulu retrouver le côté tragédie grecque qui sous-tend la conquête de l’Ouest. On y parle des Indiens, mais on ne les voit pas. Le personnage principal est un manchot – tireur d’élite, tout de même. Les bons ont des côtés d’ombre, les mauvais restent des êtres humains. Si je m’attelais à l’écriture d’un péplum, je ferais tout le contraire d’un péplum. Je dis bien “si”, car le péplum est un genre que je n’aime pas. Et je ne suis pas le seul : il est notoire que les femmes n’aiment pas les films péplum, sans doute parce que c’est un monde de machos. Jean DufauxJe peux comprendre que la surdose à Arlon entre pour quelque chose dans ton opinion, mais avoue que Spartacus… Jean Van Hamme : Ce n’est pas un péplum ! C’est un Kubrick. Comme le Satiricon est d’abord un Fellini. Dans Le Colosse de Rhodes, Sergio Leone a accumulé tous les poncifs du genre pour en faire un vrai “Sergio Leone”. Avoue que ton Murena n’est pas un péplum pur jus ! Jean DufauxC’est une aventure humaine dans un cadre romain – ce qui implique un détournement de clichés –, mais les références au cinéma sont bien présentes. Ce qui m’a intéressé, c’est de redécouvrir le personnage de Néron. Voilà un empereur qui a laissé dans l’Histoire une image épouvantable de pyromane chantant, d’assassin en famille et de trucideur de chrétiens. On oublie que le peuple adorait Néron ; ce fut un des empereurs les plus populaires. Et toutes les légendes atroces à son sujet appartiennent au domaine du mensonge. Les “historiens” de l’Antiquité étaient souvent payés par des empereurs qui avaient intérêt à noircir leur prédécesseur… surtout quand il fallait justifier qu’ils l’avaient égorgé pour le remplacer ! Le Néron de Murena est un adolescent affublé d’une mère sans scrupules, qui recourt au crime comme d’autres à l’aspirine ; il vit dans les intrigues perpétuelles, dont il est d’abord le jouet, mais qu’il devra maîtriser pour ne pas finir comme victime de l’une d’entre elles. Cela dit, la BD d’aventure slalome, elle aussi, entre les clichés. Jean Van HammeAvec Wayne Shelton, je devais éviter un Largo bis ou un XIII et demi. J’en ai fait un baroudeur de cinquante ans, qui a intérêt à éviter les cascades, sur le terrain et entre les draps. En fait, cela faisait quelques années que ce personnage me trottait en tête. J’ai écrit cette histoire pour le cinéma. A l’époque, j’avais rencontré un des producteurs d’Emmanuelle. C’était son premier film et il avait remporté le gros lot. Il s’est pris à rêver et m’a demandé un scénario. Mais à force de rêver, il a couru à la faillite et le film ne s’est jamais fait. Denayer cherchait un scénario, j’ai repensé à Wayne Shelton, son périple en camion dans une république du sud de l’ex-Urss, son équipe de têtes brûlées, les coups tordus qu’on lui fait… Jean DufauxOn a dit que depuis la Bible et Shakespeare, toute fiction n’est plus qu’une variation sur un même thème. Une fois digérée cette constatation déprimante, tout le jeu consiste à faire le contraire de ce qu’attend le lecteur, se référant à ses lectures précédentes, ses souvenirs, ses repères culturels. Dans Rapaces, des clés sont données dans le troisième volume, mais elles n’ouvrent pas toutes les portes. Faut-il d’ailleurs tout expliquer dans la fiction, alors que la réalité est pleine de zones de mystères ? Un aveu et une faillite : je (le pique-assiette) ne suis pas parvenu à leur faire dire, se regardant dans les yeux : “Jean, j’aime ce que tu fais.” Les brassées de compliments, ce n’est pas leur genre. En tout cas, face à face. Mais les deux Jean ont la manière de ne pas dire ce qu’ils brûlent d’exprimer. Pudeur. Alors, mine de rien, on évoque Charlier, Greg, Tillieux. Jean DufauxCharlier, je l’ai très peu rencontré. Je me souviens d’un séducteur. La magie du verbe. Tout ce qu’il disait devenait passionnant. Jean Van HammeLe génie de la bande dessinée. Il possédait l’art de raconter plusieurs fois la même histoire, mais en renouvelant la curiosité du lecteur. De Buck Danny à Michel Tanguy, il a raconté des aventures d’aviateurs, très proches les unes des autres. Et cependant, Tanguy, ce n’est pas un succédané de Buck Danny. Placé dans un cadre analogue, Charlier parvenait à se renouveler, tout en utilisant les mêmes ficelles, ces fameux câbles dont il rigolait volontiers. Jean DufauxCe qui ne l’a pas empêché de passer à la vitesse supérieure dans Blueberry ; La Mine de l’Allemand perdu… Jean Van HammeC’est le chef-d’œuvre des chefs-d'œuvre ! Greg possédait aussi cette puissance du récit et parvenait à créer des moments émotionnels – ce que je rencontre peu chez Charlier. Jean DufauxGreg brillait autant dans l’humour que dans le réalisme. Ce qui nous mène à Tillieux, un orfèvre de l’humour, qui n’a pas eu le temps de donner toute sa mesure dans le réalisme. La bande dessinée a aussi ses fantômes. Ils passent, rassurés que leur lignée soit assurée. Je ne me souviens plus qui, de Buffalo Van Hamme ou de Midas Dufaux, a terminé le premier son steak tartare. Alain De Kuyssche

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L’apeupré-Widenlocher

  Dessinateur de Nab (scénario de Herlé), Roger Widenlocher a surpris son monde en assurant l’audacieuse (et réussie) reprise graphique d’Achille Talon, après Greg*. Parallèlement à ces deux séries, il se lancera dans une nouvelle aventure éditoriale qui verra le jour en fin d’année. Pour cela Widenlocher n’abandonnera pas son domaine de prédilection : l’humour. Un type d’humour pourtant différent du monumental Talon ou de sa série “apeupréhistorique”, Nab, dont le dixième album sortira en mai chez Dargaud (L’Odyssée de l’espèce) sur scénario de Herlé. Le nouveau projet sur lequel travaille l’auteur s’intitulera Carbone 14 et devrait paraître chez l’éditeur Bamboo. “Cette bande dessinée sera inhabituelle. L’idée de départ est la pseudo-découverte d’une bande dessinée très ancienne découverte par des chercheurs sur un site archéologique. Cette bande dessinée aurait été réalisée par un certain Widenlocher, bien avant que son œuvre ne traverse les siècles ! (Rires.) Je ne me prends pas du tout au sérieux, comme d’habitude… Mais là j’ai exploré l’idée jusqu’au bout. Cet album contiendra une suite de gags presque naïfs car ceux-ci auraient été réalisés il y a longtemps, bien avant Nab et consorts.” On découvrira ainsi des planches sur toutes sortes de thèmes racontés avec une fraîcheur presque juvénile. Point de têtes à toto, juste des petites histoires a priori futiles mais qui seront travaillées au premier et au second degré. “Certains gags et jeux de mots peuvent échapper à la première lecture, j’en suis conscient, mais c’était aussi ça l’idée. Il n’y aura pas de panneau “attention riez !” à côté de chaque gag. Ceux qui auront la curiosité de lire ça pourront s’amuser à découvrir un humour pas toujours balisé.” Si Widenlocher reste dans le domaine du gag en une planche, il avoue développer un concept un peu différent du reste. “J’ai toujours aimé les trucs délirants quitte à surprendre le lecteur, comme nous l’avions fait avec Herlé sur l’album Coyote Bill. Mais mon univers est celui de l’humour, je ne changerai pas. Je sais que le microcosme de la BD ne s’intéresse guère à ce genre, le milieu de la BD a toujours aimé se regarder le nombril. Que des bandes dessinées “d’auteurs” fassent l’actualité n’a rien de surprenant, on connaît la chanson. Quand Nab a reçu un Alph-Art à Angoulême, c’était celui remis par un jury d’enfants de 9 à 12 ans !” En atttendant, les lecteurs de Nab (dès 9 ans !) pourront découvrir les nouvelles éditions de cette série relookée sous de nouvelles couvertures coréalisées avec Yves Bordes en couleurs directes. “Yves a pendant longtemps travaillé dans la bande dessinée. Ici il s’est réapproprié l’univers de Nab en proposant des couvertures très visuelles. Un vrai bonheur !” EDK * Deux albums parus à ce jour : Achille Talon a la main verte (scénario de Godard) et Tout va bien ! (scénario de Brett). A noter que l’album Le Gabian (Le Ciel, le soleil et l’amer) paraîtra en mai chez Bamboo.

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Convard, gentleman de l’écriture

A 50 ans, Didier Convard a tout de l’hyper-actif. Une énergie qui se concrétise par de multiples activités dont, depuis peu, celle de directeur de collection chez Glénat. Trois albums font l’actualité de ce auteur complet : Neige (avec Gine), Le Triangle secret chez Glénat et Chats chez Dargaud. Et ce n’est pas fini.La nouveauté Neige est parut en fin d’année. Une série à succès qui pourrait aboutir à un projet de film ? Info ou intox ?Info ! Je travaille sur l’écriture pour cette adaptation, avec un co-scénariste, Nicolas Cambois. Nous avons une date butoir mais, avant que la réalisation ne commence, il peut s’écouler beaucoup de temps. Neige au cinéma signifie un gros budget, ce n’est pas simple.Jusqu’où ira la série Neige ? N’avez-vous pas peur d’avoir fait le tour du sujet ?Question qu’on se pose nécessairement surtout quand on arrive à une dizaine d’albums. Mais, à part les deux précédents titres qui auraient sans doute pu faire l’objet d’un seul volume, le rythme est bon. Je sais où je vais et, à partir du T. 12, chaque titre formera une histoire complète. C’est le principal changement. Avec le même dessinateur (Gine), vous avez lancé Finkel chez Delcourt. On sent là encore votre attachement à certains thèmes récurrents...J’ai quelques obsessions qui me tracassent fortement (rires) ! L’écologie, la survie, l’avenir de l’humanité, le syndrome de la maladie et de l’épidémie, oui, tous ces thèmes reviennent dans mes scénarios, je ne peux pas dire le contraire. Avec Finkel, nous investissons un monde un peu plus onirique. Ça me permet de synthétiser ces grandes angoisses, de les traiter presque comme si c’était un long poème. Il y a moins de noirceur que dans Neige, si j’ose dire ! Finkel s’apparente plus à de l’heroïc-fantasy.Le Triangle secret est un concept très ambitieux dans sa forme (plusieurs dessinateurs, rythme de parution régulier) mais aussi dans le fond avec un sujet qui cristallise les passions. N’aviez vous pas peur de vous lancer dans un tel projet ?Si, bien sûr, ce sujet n’avait jamais vraiment été traité dans la bande dessinée. Les protagonistes sont francs-maçons dans une histoire où l’on évoque un complot dans lequel sont concernées la franc-maçonnerie et l’église, chacun n’ayant pas un rôle aussi clair que ça. Au départ j’avais écrit un roman sur ce sujet et puis, au cours d’un dîner avec Jacques Glénat, nous commençons à parler de cela. Jacques m’a proposé que je lui envoie ce roman inachevé. C’est ce que j’ai fait et, trois jours plus tard, il m’appelle : " Je l’édite ! ". On en rediscute, il admet que, n’étant pas un éditeur de roman, il ne sait pas encore comment exploiter ce texte si ce n’est, bien sûr, sous forme d’une adaptation en bande dessinée. C’est comme ça que tout est parti ! Comme ce scénario évoque près de 2.000 d’Histoire basée sur une énigme, il nous fallait réunir plusieurs dessinateurs capables d’intervenir sur un morceau précis de l’histoire. On a réuni toute une équipe avec un dessinateur qui s’occupe de la partie contemporaine - Denis Falque -, les autres traitant leur époque préférée. Stalner, Chaillet, Kraehn, Gine, Jusseaume, ont tous participé, y compris Juillard qui signe les couvertures. Il y aura 7 albums au total qui se déroulent essentiellement sur trois niveaux, de l’époque du Christ jusqu’à nos jours. Pas moins ! Je ne fais pas oeuvre d’historien, je revisite l’histoire à ma façon. Il n’y a pas les méchants d’un côté, les gentils de l’autre, ce n’est pas manichéen. Chacun défend ses intérêts au nom d’un ordre, " leur " ordre établi. Je ne réagis pas en tant qu’inquisiteur, j’aurais même plutôt un propos humaniste." J’ai imaginé cette histoire comme une équation mathématique "Ce que vous précisez à la fin de l’album...Oui, c’était important de préciser qu’il s’agissait d’une fiction. Et les réactions sont en général positives, seule la presse d’extrême droite a cru bon descendre Le Triangle secret... En tout cas je n’ai jamais autant reçu de lettres de lecteurs !Pouvez-vous nous en dire plus sur vos nouvelles responsabilités chez Glénat ?C’est directement lié à l’aventure du Triangle secret. Face au succès et à l’intérêt qu’a suscité cette série, Jacques Glénat m’a proposé de devenir directeur d’une collection sur le thème de l’ésotérisme. Petite collection dont les premiers titres devraient sortir en 2002.Avec au programme ?Des albums signés Cabanes, Siro - comme scénariste - , Gine, Chaillet, Savey...Le nouveau Chats paraît en janvier. Ils s’étaient faits attendre ! Pourquoi ?Mea culpa. Mais j’ai une bonne excuse : au moment où je commençais Chats, Didier Christmann m’a proposé de rejoindre la nouvelle " équipe " qui travaillait sur Blake & Mortimer, c’est à dire celle composée d’Yves Sente pour le scénario et André Juillard pour le dessin. J’ai hérité de la mise en couleur qui m’a pris un temps considérable. Il fallait respecter l’esprit Jacobs et, en même temps, être dans un ton actuel. Un an de travail, mais quel plaisir de mettre en couleur les dessins de l’ami André !Il faut préciser que Chats est la seule série que vous dessinez.Oui, ce qui signifie pas mal de temps à fignoler le dessin. Et comme je n’aime pas faire les choses à moitié - appelez ça le respect du lecteur si vous voulez ! - ,ça m’a pris du temps. " Honnêtement, si je ne pouvais plus faire qu’une seule chose, j’écrirais. "Ce nouvel épisode s’attaque à un thème (le voyage dans le temps) souvent jugé " casse gueule ".De nombreux auteurs se sont penchés sur ce thème, parfois avec grand talent. Mais sur ce type de sujet, on peut vite rater son coup et c’est catastrophique parce que ça ne tient pas la route et c’est sans intérêt. Les pièges sont nombreux, j’ai imaginé cette histoire comme une équation mathématique. De sorte que ça tienne la route, en tout cas je l’espère ! Quand demain sera hier est aussi une réflexion sur la mort, à travers mes deux chats, Traîne-Patte et Saute-Lune. Si on regarde bien cette histoire, on peut également concevoir qu’il s’agit d’un rêve. Vérifiez bien, au début, il y a cette possibilité, quand Traîne-Patte fume son fameux tabac-rêve dans le bivouac...Ici les chats humanoïdes s’entre-tuent, répétant les erreurs des hommes...Oui, les Chats commettent les mêmes erreurs, mais à cause d’une invention humaine, cette machine à voyager dans le temps. Et puis les chats tombent dans ces errances car ils se sentent vulnérables face à cette machine qu’ils ne comprennent pas. Les uns sont tentés de la protéger, les autres de la détruire, d’où cet équilibre remis en question. Tout cela à cause d’un acte sacrilège de la part des hommes...Des sujets que vous abordez dans une autre de vos séries, Polka.Exactement, chaque album de Polka, dessiné par Siro, aborde un thème fondamental qui montre une dérive grave de la part des hommes, le tout dans un futur proche.Coloriste, scénariste, dessinateur, directeur de collection... De toutes vos activités, laquelle vous procure le plus de plaisir ?Si je fais tout ça c’est que j’ai envie de le faire ! J’ai sans doute un côté schizophrène ! Honnêtement, si je ne pouvais plus faire qu’une seule chose, j’écrirais. Eric Gauvain

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Tramp, cap sur l’Afrique

La Route de Pointe-Noire, nouvelle " escale " de la série Tramp, débarquera en janvier en librairie. Un album qui, juste après la parution de la volumineuse Intégrale, annonce le début d’un second cycle. Questions croisées aux auteurs au long cours, Patrick Jusseaume et Jean-Charles Kraehn... Tramp : l’idée vient de qui ? PJ : Je ne me souviens plus... Mais je sais que c'était à marée montante. JCK : Je crois me souvenir que l’idée vient de moi. En fait nous avions discuté avec Patrick de plusieurs projets et aucun ne s’imposait à nous. Et puis cette idée d’une aventure maritime est venue, ça correspond à une réminiscence de lectures de jeunesse sur ce thème. Avez-vous eu des regrets d’avoir " tué " Ester, l’amie de Yann Calec dès le T. 1 ? JCK : Aucun, c’est mon côté pervers ! (rires) Non, disons que ça faisait partie de l’histoire, ça donnait le ton, une ambiance dramatique. PJ : OUI ! Et j'espère ne pas être le seul . Quel(s) personnage(s) de Tramp préférez-vous ? PJ : Ester. Elle a aimé Calec au point de prendre des risques démesurés. Son fantôme est toujours là . Des traces qui ne s'effaceront pas pour Calec. JCK : Difficile... La réponse évidente serait Yann Calec, le héros, le fil conducteur de toute l’histoire. Floss, qui est un salaud fini, a des aspects intéressants, et puis il essaie de se racheter à la fin. Ester, Rosanna ? Non, je n’ai pas vraiment de personnages préférés. ...détestez-vous ? JCK : Pareil. Impossible à dire ! PJ : De Trichère ? " Aigrelette" ? Don Perez ? Floss ? Le paradoxe est que ce dernier était le plus sympa à dessiner. Si vous deviez définir Tramp en un mot (allez, éventuellement plus d’un !), ce serait quoi ? JCK : Génial ! (rires). Que dire... Le cliché c’est " polar maritime ". Mais c’est réducteur. Si, Tramp c’est une histoire pour voyager. Ce sera mon dernier mot ! PJ : Les tribulations d'un homme courageux chahuté par les tempêtes mais qui garde toujours le cap. Et Dieu sait si les écueils sont redoutables et nombreux . Tramp a été nominé à Angoulême en 2000. Normal ? Surprenant ? JCK : Comme tout auteur, j’aurais tendance à dire spontanément que c’est normal. Et puis, en réfléchissant, on peut trouver ça plutôt étonnant quand on voit la majorité des albums qui sont récompensés. Ça n’a de toute façon aucune importance. PJ : Tramp a été nominé à Angoulême en 2000 ...? Je ne savais pas, quelle aventure ! Une BD nominée à Angoulême ? Normal ! Cela dit, recevoir le prix d'Angoulême reste le couronnement suprême en matière de bande dessinée. Mais le lecteur s'en soucie t-il ? La Route de Pointe-Noire conduira les personnages en Afrique. Hasard ? PJ : Comme son titre l'indique, la vocation de cette série est de parcourir le globe et nous entraînera toujours vers de nouveaux horizons. Néanmoins l'attirance pour ce mystérieux continent exerce depuis longtemps sur l'imagination des aventuriers une réelle fascination . "C'est pas sorcier !" : Pour peu que vous soyez né dans ces contrées, vous êtes marqué à jamais... (làà dis donc !!). Et puis les chemins maritimes de l'époque nous y amènent inévitablement. JCK : Il se trouve que Patrick et moi avons connu l’Afrique. Ce n’est donc pas tout à fait un hasard. Par rapport à l’intrigue non plus puisque le protagoniste est un marin au long cours. Combien d’albums comprendra ce cycle ? PJ : Deux, patron ! JCK : Deux pour ce second cycle. Pour l’histoire, honnêtement rien n’est défini. Avec le recul, lequel des 5 albums préférez-vous ? JCK : Aïe... Les quatre premiers constituant une seule histoire, je n’ai pas vraiment de préférence, même si... PJ : Le Piège, bien sûr ! J'aurais même envie de le redessiner. Je ne devrais pas dire ça, les lecteurs vont s'affoler. Vous aimeriez dessiner et/ou écrire comme... JCK : C’est plusieurs qualités de plusieurs auteurs qui me séduisent. J’aime le talent de dialoguiste d’un Michel Audiard, l’aisance d’un Loisel ou d’un Giraud... Il y a beaucoup d’auteurs que j’admire, il est impossible de s’arrêter à un seul nom. PJ : ...aaah, là, il y a deux auteurs dont j'aime beaucoup le dessin : Prado et Marini. Pour l’écriture : Monsieur Jean de Dupuy &Berberian La plus grande qualité de votre co-auteur ? PJ : Un pragmatisme achevé (je veux parler de quelqu'un qui recherche des résultats pratiques et sait s'adapter avec réalisme.) JCK : Humainement Patrick est quelqu’un de super. Professionnellement il a bien compris qu’on racontait une histoire à deux et que le dessin est au service du scénario et réciproquement. Et puis son désir de de progresser est très motivant. Son point faible ?... JCK : Je n’en vois pas d’évident. Juste quelques défauts graphiques, imperceptibles, qui participent en fait à son style. PJ : Ouille-ouille-ouille ! Vos derniers coup de cœur en matière de livres ? JCK : Inconnu à cette adresse par Kresmann Taylor. PJ : Histoires d’amour d'Alberto Moravia : furieusement décapant ! ...de films ? JCK : Pas de coup de foudre récent, désolé... PJ : Secrets et mensonges K. Loach (?)... Oui je sais, ce n'est pas une nouveauté . Si vous ne faisiez pas de bande dessinée, vous exerceriez le métier de... PJ : Photographe. Capter toutes les lumières, sur des visages, des corps, des villes et leurs banlieues, des rivages, etc. JCK : Je ne me vois franchement pas faire autre chose ! Votre devise ? JCK : Persévérance et tenacité ?.. m’ouais. Ces deux mots me définissent en tout cas pas trop mal... PJ : Toujours mieux ! (pas forcément plus vite). E.D.K

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Les mots de Frank Le Gall

Après trois ans d’absence, Théodore Poussin (né dans Spirou en 1984) revient enfin en librairie en novembre (sous pavillon Dupuis). L’apparition de ce nouvel épisode, intitulé Novembre toute l’année, est une très très bonne nouvelle pour tous les amoureux d’un des plus exigeants graphistes et scénaristes actuellement en circulation. Pour jouer, nous avons demandé à son auteur, Frank Le Gall, de réagir à quelques mots-clés…Dessins ?Le dessin est et doit rester un plaisir. Je ne songe jamais au style ou à ce genre de bêtises. J’applique le conseil de Cocteau : “Faire la moitié du travail, le reste se fera tout seul.”Scénario ?C’est le moment magique où tout est possible, toutes les directions permises. Après cela, bien sûr, il faut s’en tenir aux choix qu’on a faits. C’est presque dommage.Novembre toute l’année ?L’envie était de faire un de ces récits à la Clouzot, quelque chose de très noir et de très français. Mon terrain de jeux favori : un huis clos dans un décor quasi infini, un groupe de personnages qui se détestent cordialement, un spectacle dans le spectacle, pour le recul, pour le plaisir d’observer les voyeurs.Accouchement ?Théodore est un garçon gentil mais exigeant. Il s’accommode assez mal de mes autres activités, chez Dargaud et Delcourt. C’est pourquoi Novembre toute l’année m’a demandé trois ans de temps – mais un an de travail comme d’habitude.(Il s’ajoute à cela que mon encrier est, je crois, de mèche avec Théodore : quand je dessine les petits contes noirs, rien d’autre n’en sort que ces étranges petites taches…)Jeunesse ?J’ai toujours aimé les grands classiques écrits pour la jeunesse. C’est tellement plaisant d’écrire pour un public frais, simple et spontané. Je savais que Guy (Delcourt) cherchait des projets pour enfants. Je lui ai proposé une histoire que j’avais écrite pour les miens. Il a dit oui sans hésiter ; nous avons pu fabriquer Catastrophes au pays du Père Noël en parfaite complicité, quant à l’objet et son contenu. Ce que j’apprécie par-dessus tout.Interview ?Mon sport favori. Comment ne pas aimer un garçon qui vous écoute religieusement pendant des heures sans jamais vous contredire ?Musiques ?Musique du matin au soir. Tout de suite, Rickie Lee Jones, Someone to watch over me (George et Ira Gerschwin). The Beatles, Bowie, Dylan, Dean Martin, Mozart, Debussy, Satie, Elvis Presley, Salvador, Trenet, Stravinsky, Eels, Slim Gaillard, les Mills Bros., Sinatra.Les chouchous du moment : Bryan Ferry : As time goes by, Ellioth Smith : Figure 8, Ron Sexsmith : Whereabouts.Musique ?J’ignorais que la musique était un métier quand j’ai choisi de faire de la bande dessinée. Aujourd’hui, avec l’aide de mes amis, je vais concrétiser un vieux rêve et enregistrer enfin mon premier album. Si l’on considère que j’ai mis les doigts sur une guitare pour la première fois il y a 25 ans, on peut dire que la route aura été longue et venteuse.Littérature ?Je ne lis plus trop, Dieu seul sait pourquoi. Beaucoup de bouquins sur la période victorienne, ces temps-ci (à cause d’un scénario en vue) et la bio de Woody Allen par John Baxter.Mais mes amours sont Dickens, Proust, Radiguet, Cocteau… Plus récents, Groucho Marx, John Lennon, Donleavy… Parmi mes livres préférés : Martin Eden de Jack London, Pierre et Jean de Maupassant, J’ai tué Phil Shapiro d’Ethan Coen, Jules et Jim de Pierre-Henri Roché, Confession de minuit de Duhamel, La Difficulté d’être et Les Enfants terribles de Cocteau, L’Île au trésor de Stevenson, Meurtres à la table de billard de Glen Baxter (la liste est encore longue).Les petits contes noirs ?Un exercice de style difficile et passionnant. De mon côté, le tome 2 sera prêt avant la fin de l’année. Je pense que Dargaud le publiera en 2022, pour commémorer l’apparition de la Pangée, il y a environ 300 000 022 ans, et qui a commencé à se disloquer avec l’échancrure Téthysienne (comme chacun sait).Pierre Le Gall ?Il est quelquefois pénible au dessinateur d’avoir à illustrer les phantasmes ou les phobies d’un autre type (appelons-le “scénariste”).Dans le cas de Pierre, mon frère, il est extrêmement agréable de pouvoir mettre le même visage sur notre complexe œdipien. Nous nous emboîtons le pas mutuellement, ce qui serait virtuellement impossible à deux personnes qui ne seraient pas frères (appelons-les “Jean-Philippe et Éric”). Fait curieux : Pierre me connaît depuis toujours et moi pas. (Si vous avez la réponse à cette devinette, écrivez à La Lettre et gagnez un week-end sous la mer avec François Le Bescond.)Caractère ?J’ai très bon caractère. Je suis un assez joyeux compagnon, bien que sujet à de brusques changements d’humeur. Je suis très facile à vivre, par exemple. Demandez à ma femme, quand elle voudra bien revenir de chez sa mère.Panthéon ?Mon Panthéon est décousu, si vous me pardonnez cette astuce un peu faible, mais j’y place : Hergé, Herriman, Gus Bofa (qui ne faisait pas de BD) et puis quelques vivants : Uderzo, Morris, Robert Crumb…Passions ?La littérature, la bande dessinée et la musique. C’est-à-dire en faire. À part cela, l’amour (même remarque), m’occuper de mes amis, faire la cuisine et passer du temps à ne rien faire de spécial avec mes enfants.Dégoûts ?Les insectes me dégoûtent – en particulier ceux qui se promènent dans les cuisines.En ce qui concerne l’être humain, je suis plus souvent révolté que dégoûté. Je prends cela pour un signe de jeunesse.Votre dernière intervention dans La Lettre ?Un mouvement d’humeur, je regrette que des gens que je ne visais pas aient été touchés. Des balles perdues, pardon.Philippe Vandooren ? *Difficile d’en parler. Philippe était mon ami. Un jour, nous déjeunions ensemble et j’avais pris une pièce de bœuf servie avec un os à moelle, Philippe me dit : “Voulez-vous que je vous prépare votre moelle, sur un morceau de pain avec du sel ?” Moi : “Au secours, non ! Je ne mange pas la moelle, je déteste ça. Pourquoi voulez-vous me faire ça ?” Philippe : “Mon père me le faisait, quand j’étais petit.”Rêve ?Épouser un ange. Mais je l’ai réalisé.Peur ?De moi.Et de l’insondable bêtise de l’être humain.Maxime favorite ?Deux phrases très complémentaires que j’aime beaucoup.“L’homme qui rit n’a pas encore entendu la mauvaise nouvelle.”Bertold BrechtEt “Le dernier qui rira est habituellement le gosse le plus bête de la maison.”John LennonTroisième millénaire ?Je n’envisage pas pour l’instant de participer à tout le troisième millénaire, mais ma participation consistera à continuer de distraire les gens, toujours avec des bandes dessinées, mais aussi avec des disques et des romans, conscient et fier de la merveilleuse sentence d’Oscar Wilde : “L’art est inutile.”P.-S. Dans le Panthéon, j’ai oublié Saint-Ogan, Carl Barks, Harold Foster, Gustav Tenggren, Garth Williams…* Patron de l’Éditorial Dupuis, disparu durant l’été 2000.

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Godard vagabond de l’écriture

Qui n’a pas lu Le Vagabond des Limbes, Martin Milan, Norbert & Kari ? Ces récits sont toujours teintés de poésie et d’une intelligente sensibilité, à l’image de leur créateur. Aujourd’hui encore, Godard multiplie les expériences et se laisse aller à une “folie très ordinaire”, ce qui sera d’ailleurs le titre d’une série novatrice (à paraître chez Glénat). Il n’est jamais là où on l’attend mais son œuvre très personnelle reste d’une rare cohérence. Depuis environ le début des années quatre-vingt-dix, on sent que vous cédez parfois à la mode, notamment sur des séries comme Les Baby-Sitters ou DocVéto. Je pense qu’aujourd’hui il est de plus en plus difficile de faire des histoires pour soi. Elles viennent toutes, pour la plupart, de commandes d’éditeurs. Nous sommes toujours en situation de raconter une histoire dont on a envie mais à condition qu’on nous la commande. Mais je n’ai pas l’impression de m’investir moins dans mes histoires. Je travaille actuellement sur deux séries, Le Cybertueur et Oki chez Glénat. Ce sont très exactement des histoires que j’avais envie de raconter lorsque j’avais 20 ans où je me destinais à la littérature policière… D’où Pavane pour un catcheur défunt… Oui… Cela a été une vraie déception pour moi de ne pas m’aventurer plus loin dans le style. Récemment j’ai écrit un autre roman policier, Le Petit Notaire, et travailler dans ce genre policier est un vrai plaisir. C’est tout à fait différent de ce que j’ai fait avec Martin Milan ou Norbert et Kari mais est-ce que je suis obligé de faire des récits “poétiques” toute ma vie ? D’ailleurs, je ne suis pas certain que Le Cybertueur ou Oki seraient si dénués de poésie. Ces séries ont le désavantage d’être encore trop jeunes pour avoir eu le temps de développer cet aspect-là. J’ai eu 28 albums sur Le Vagabond pour “m’installer”. J’ai toujours mis beaucoup de moi-même dans mes histoires. Je me retrouve beaucoup dans Le Cybertueur, cet homme jaloux à l’extrême qui se numérise pour continuer à vivre et à aimer même après la mort. Votre ressemblance avec Oki jeune fille au pair est un peu plus floue ! Ne trouvez-vous pas que ce personnage vit beaucoup trop d’aventures extraordinaires pour rester crédible ? Je suis d’accord avec vous mais il me semble que cela était nécessaire pour installer le personnage. Mais dès le prochain album il sera beaucoup plus logique de la retrouver systématiquement au sein d’un conflit, d’une enquête de police. *Oki n’est-elle pas un peu trop fragile pour être une héroïne ? Bien sûr qu’elle est faible. Si elle était forte, elle serait beaucoup moins en danger. L’intrigue perdrait de son intérêt. J’ai donc choisi un personnage authentiquement démuni. D’abord, je déteste les héros. Martin n’est pas un héros, il contourne les difficultés. Axle n’est pas un héros. Oui mais ils font des choix qu’ils assument. Ils restent fidèles à leurs rêves et en cela, ce sont des héros formidables. C’est juste, mais ils ne sont pas des héros dans le sens où ils ne se battront jamais au bord d’une falaise. Pour revenir à la notion d’investissement dans vos différentes séries, je ne vois pas bien le point commun entre Toupet et Le Grand Scandale. Parce qu’il n’y en a aucun. J’ai toujours considéré comme ennuyeux de faire toujours la même chose. J’ai deux modes narratifs très différents : l’expression narrative humoristique de mes débuts. Voyez les gags que j’ai pu écrire pour Modeste et Pompon, Mister Magoo… et l’expression réaliste. Il pourrait quand même y avoir un rapport entre ces deux genres : la construction narrative. Quand on sait construire un gag, on sait construire un récit. Vous retrouvez le même profil du début, de la montée en puissance et de la chute, qui doit être le contraire de ce que l’on attend. Je vous rassure, je suis le seul à défendre cette théorie ! Vous êtes d’ailleurs très peu de scénaristes à naviguer entre les gags et les histoires réalistes. Greg savait très bien faire cela. Il y a bientôt 10 ans, vous aviez créé quelques séries parallèles au Vagabond. Leur échec signifie-t-il que c’était ce que j’appelle de fausses bonnes idées ? Pas du tout. Je reste persuadé que c’était de très bonnes idées et je regrette de ne pas avoir pu mener l’aventure à son terme mais lorsque Dargaud a racheté Le Vagabond, ils n’en ont pas voulu. Mon regret va surtout à Musky vu par Gimenez. L’idée de ne jamais lire la fin d’une histoire est assez terrible. Je pense aussi à votre fabuleuse série d’aventure policière Le Grand Scandale dont on ne connaîtra jamais la fin. Il y a aussi, paru dans les années quatre-vingt, Les Dossiers de l’archange… Et la série incroyablement angoissante, Le Bras du démon. Comment explique-t-on que des séries de cette qualité ne rencontrent pas leur public ? Peut-être parce que les éditeurs ne leur laissent pas leur chance. Toutes ces séries ont été arrêtées après deux ou trois albums. Or, tout le monde sait qu’il en faut au moins six pour implanter une série, sauf cas exceptionnel. Il est vrai que j’ai dû en laisser plein en chantier mais j’estime malgré tout avoir eu une chance énorme. J’ai écrit 16 histoires de Norbert et Kari, 21 albums de La Jungle en folie, 30 Vagabond des Limbes, 15 Martin Milan… On vous a laissé raconter vos “petites histoires”… Oui… mais je n’ai pas de sentiment d’injustice. Par exemple, pour Le Grand Scandale, nous avons compris Julio Ribera et moi-même, ce qui n’allait pas mais nous n’avons pas réagi assez rapidement. Par contre, je regrette de ne pas avoir eu le temps d’utiliser convenablement l’idée. Il y a quelque temps, j’ai signé un contrat pour réutiliser sur un autre support, pour une autre exploitation tout ce qui n’est pas arrivé à maturité absolue comme Chronique du temps de la vallée des Ghlomes ou Le Bras du démon. Il me semble pourtant que dans Achille Talon vous n’êtes pas allé aussi loin que vous le pouviez. Dans le dernier album de Greg, il y a tout un délire verbal qui prend des proportions gigantesques qu’il m’était impossible de réaliser dans un premier album. Si je prends une page pour faire tout un discours, c’était facile. La preuve que je devais faire était de montrer que j’étais capable de trouver des gags pour Talon et de percuter sur la manière de s’exprimer de Talon. Il y a même un gag sans paroles, exprès pour faire la démonstration. Dès le premier album, je ne pouvais pas m’accorder les mêmes privilèges que Greg s’accordait. Vous avez lancé la série DocVéto avec Achdé. On a l’impression qu’on ne sait plus faire de la BD d’humour sans se sentir obligé de choisir un corps de métier et de l’exploiter sous ses facettes les plus drôles. J’avais proposé une autre idée, sans aucun rapport avec une corporation. Ils ont préféré DocVéto. Mais cela s’explique. Il est très difficile d’imposer un personnage anonyme aujourd’hui. Il doit avoir d’emblée une définition. Et puis les éditeurs demandent des gags en une planche. C’est plus facile à revendre à la presse. Et, dans un gag en une planche, il faut être incroyablement cursif. Donc, si dès la première case, votre héros est un agent de police, vous n’avez plus besoin de le présenter, ni de définir son quotidien, sa psychologie. On est donc contraint, dans les séries humour, de choisir des personnages qui ne nécessitent pas d’être présentés. On n’a pas assez de temps pour installer des personnages. Il faut que cela percute tout de suite. Pour DocVéto, la variété vient de la diversité des animaux qui seront mis en gag. Et puis, je ne dirai pas que ce sont des histoires de véto mais plutôt des histoires d’animaux. Dans quel domaine prenez-vous le plus de plaisir ? Je prends beaucoup de plaisir à écrire le prochain Cybertueur. Aujourd’hui encore je prends beaucoup de plaisir à écrire Le Vagabond. J’ai pu mettre beaucoup de moi dans cette série, à différentes époques de ma vie, et ça continue. J’y ai mis beaucoup de sincérité. Mais il ne faut pas perdre de vue que c’est de la BD et il ne s’agit pas de se défouler. On doit utiliser ses émotions pour raconter une histoire et c’est toujours plus facile lorsqu’on sait que cela va être transfiguré par le dessin d’un autre. Cela installe une distance. Christelle Favre & Bertrand Pissavy-Yvernault  

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David B. au rendez-vous des ogres

Par politesse ?Par pudeur ? Par… ? David B. (David Beauchard) tient à une apparence d’une stricte neutralité. Ouvrez un de ses bouquins. Cette impression disparaît : vous êtes chez un des auteurs tout à la fois parmi les plus professionnels, les plus originaux et les plus humains que Dame BD ait jamais eu la joie d’accueillir dans son giron. Après Le Capitaine écarlate (avec Emmanuel Guibert) chez Dupuis, il publie, en juin, en compagnie de Christophe Blain, Les Ogres, dans la collection “Poisson Pilote” de Dargaud. Les Ogres sont la suite de La Révolte de Hop-Frog ? Hé non, ce n’est pas la suite. C’est une autre histoire où l’on retrouve Hiram Lowatt et Placido et… Hop-Frog dans un petit rôle de figuration intelligente. Hop-Frog dégageait, me semble-t-il, une forte impression de chaleur, de quasi-sensualité… Pour Les Ogres, Christophe Blain a modifié sa façon de travailler… Il règne là une atmosphère sombre, bleutée, froide… Comment ça se passe entre vous deux ? Sur le plan sensuel, ça se passe bien. Sur le plan du travail aussi. C’est moi qui ai proposé à Christophe une histoire se passant en Alaska, je lui ai promis en échange que la prochaine se déroulerait à bord d’un train. A part ça, l’histoire avance en discutant, en échangeant des idées, en allant voir des westerns plus ou moins bons au cinéma. Les Ogres, comme Le Capitaine écarlate, est une histoire fantastique, mais pas que cela. Qu’est-ce que vous glissez d’autre dans vos scénarios pour qu’on ait ainsi un peu de mal à les cataloguer ? J’essaye de faire en sorte que mon fantastique fasse ressortir le côté humain des personnages. Je ne fais pas des Capitaines Écarlate ou des Ogres pour mettre en scène des personnages fantastiques, ils sont aussi humains que les autres. Bien que ce ne soit, paraît-il, pas très vendeur, je trouve que Les Ogres sentent… la mort. Vous êtes obsédé par elle ? Oui, la mort m’obsède. J’ai vu jusqu’à l’âge de 17 ans mon frère mourir un peu trois fois par jour et j’en ai gardé un sentiment de connivence et de dégoût avec ce quelque chose que l’on représente par un squelette armé d’une faux. Ce sigle venu du fond des âges me convient assez bien. Le fond de l’intrigue des Ogres, c’est le cannibalisme ? L’idée de départ du scénario, c’est le génocide plus que le cannibalisme qui est pour les ogres de mon histoire le moyen le plus abouti d’exploiter leurs victimes jusqu’au bout. Est-ce que le cinéma allemand, je pense à M. le Maudit, a eu une influence sur vous ? Bien sûr, outre ses qualités plastiques, ce cinéma est un cinéma du malaise qui a très bien synthétisé les peurs et les espérances obscures de son époque. C’est intéressant de voir que les artistes de cette période (peintre, poètes, cinéastes) ont utilisé les différentes sorties que ces peurs et ses espérances leur offraient. Ils se sont partagés entre la mort sous les coups des nazis, le suicide, l’exil et la résistance ou le ralliement au nazisme. Qu’en sera-t-il de nous ? Mais nous ne vivons pas la même époque… Vous êtes passé par l’Ecole Duperré, à Paris… J’étais à Duperré dans les années 70-80 où j’ai été élève de Georges Pichard en cours de publicité et où je me faufilais aux cours de bandes dessinées auxquels (question de filière choisie) je n’avais pas le droit d’assister. J’ai décidé d’aller à Duperré uniquement parce que je savais que Pichard y donnait des cours de bandes dessinées. C’était un régal. Il donnait des conseils avec une grande gentillesse, mettait en pièce gens et choses qu’il n’aimait pas avec une méchanceté et une mauvaise foi réjouissantes et se lançait dans d’éblouissants monologues sur l’histoire de l’art. C’était un régal… David qui joue ? David qui meurt ?… Si vous deviez réaliser un autoportrait, comment vous dessineriez-vous ? Autre personnage que vous avez côtoyé, Jacques Lob (le cocréateur, entre autres, de Blanche Epiphanie). En moins rond… moins moustachu et davantage… cruel (?), je trouve que vous lui ressemblez un peu ? Je n’ai pas le sentiment de ressembler à Lob, mais peut-être que ma cruauté m’aveugle. J’ai le sentiment d’avoir comme lui une passion pour raconter les histoires et j’ai reçu le prix Jacques-Lob avec plaisir. Vous avez eu des débuts classiques, chez Glénat, à Okapi… C’était dans les années 80… Vous souvenez-vous de cette période ? Les années 80 étaient une période lamentable pour la bande dessinée, tout tournait autour du concept du “Retour de la grande aventure” emprunté à Spielberg et les séries les plus creuses fleurissaient, associant scénaristes alignant les poncifs et dessinateurs comateux. Affreux. Puis vient l’Association… D’où la nécessité de créer l’Asso bien sûr, parce que nous ne trouvions nulle part où nous faire publier ou plutôt que nous ne voulions surtout pas nous faire publier chez ces égoutiers de la bande dessinée. Nous avions envie d’air frais (et de bière pour certains). Depuis, pas mal d’eau a coulé. C’est devenu, ces temps-ci, un sujet de débat : que pensez-vous de la récupération, par les éditeurs installés, style Dargaud ou Dupuis, de toute cette génération d’auteurs, nés dans de petites structures. Est-ce que le mot “récupération” vous paraît le bon ? C’est le travail accompli à et par l’Asso qui m’a permis de rentrer chez Dargaud ou Dupuis. Je ne me sens pas récupéré, je continue à travailler régulièrement pour l’Asso, je participe aux prises de décision, je la représente dans certains festivals. Je ne suis pas devenu un auteur Dargaud, je suis un auteur qui, pour gagner sa vie et par plaisir, au fil des rencontres, travaille pour plusieurs éditeurs. Viendront ensuite Le Cheval blême et puis le début de L’Ascension du haut-mal. Le Cheval blême était une sorte de mise en jambe avant d’affronter L’Ascension du Haut-Mal dont je n’ai pas encore atteint le sommet. C’est un travail auquel je pense depuis vingt ans et qui était inévitable pour des raisons évidentes. Pour L’Ascension du Haut-Mal, vous avez obtenu le prix du meilleur scénario au dernier festival d’Angoulême. Quelles ont été vos impressions en apprenant que ce prix vous avait été attribué pour ce livre-là ? J’ai été content. Comme dit Edmond Baudouin : “Un prix c’est une caresse qu’on vous fait.” Mais je ne cacherai pas que le travail que je fais avec L’Ascension du Haut-Mal va, pour moi, bien au-delà des prix ou des compliments que je peux recevoir. Qu’est-ce qui vous fait éclater de rire ? Je ne peux pas raconter la dernière fois où j’ai éclaté de rire. Trop de cruauté là-dedans, les gens et sans doute vous-même ne comprendriez pas. Je me rends bien compte qu’aux yeux des gens, j’ai l’esprit un peu trop tordu. Guy Vidal

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Larcenet auteur, pas clown !

Sa force graphique s’est jusqu’à présent affirmée, de manière “comique” dans Fluide Glacial. Sa face noire, il l’a montrée dans des travaux plus personnels (Presque). Avec Lazaar (collection “Poisson Pilote”) qui sort en juin, Larcenet fait une synthèse sidérante.Début de l’interview. Je te tends un miroir. Peux-tu t’y dessiner tel que tu t’y vois ?Quels sont tes maîtres en BD ?Mes maîtres en bandes dessinées… Ben c’est-à-dire qu’ils sont quand même très nombreux mais on peut dire que ça a commencé avec Lambil et Cauvin, puis Conrad, Vuillemin, F’Murrr et plus récemment Goossens, Blutch, Muñoz… Mais Lewis Trondheim, Tardi, David B, Christophe Blain sont des gens dont le travail me fascine pour diverses raisons…Je sais ton admiration pour F’Murrr. Pourquoi ?J’ai découvert F’Murrr vers 12 ou 13 ans. Son travail a été une vraie révélation, même si je n’avais pas la culture nécessaire pour tout piger (Je ne l’ai toujours pas, d’ailleurs !). Il m’a montré qu’on pouvait développer un univers humoristique très éloigné de l’école Spirou qui était alors ma référence. Encore aujourd’hui, il est impressionnant parce qu’il est drôle, absurde et surtout énigmatique.Tu dessinerais un mouton en hommage au prince des Alpages ?(dessin ci-dessus)Sais-tu que le “prince des Alpages” déjà mentionné a un sacré caractère ?On m’a dit, oui, mais je me méfie parce que, dans le micro-monde de l’édition de bandes dessinées, on a vite fait de cataloguer certains auteurs comme “emmerdeurs”, simplement parce qu’ils ont des exigences légitimes…Toi-même, on dit que du côté caractère… On le dit, oui…Mais c’est aussi parce qu’à force de se faire enculer, on devient vite méfiant.Quel est l’aspect de la BD que tu détestes ?Je commence à être saoulé par les rivalités entre éditeurs, et aussi par l’énorme hypocrisie qui consiste à faire croire aux auteurs qu’ils sont des stars, de les caresser, de les dorloter dans le but à peine voilé de mieux les niquer.Es-tu un grand lecteur ?Pendant très longtemps, je n’ai lu que de la bande dessinée, ce qui a contribué en partie à mon inculture notoire. Mais depuis que je dessine de manière professionnelle, je reprends goût à la lecture des livres sans images. Je viens, à 30 ans, de découvrir Baudelaire et surtout Céline… J’ai beaucoup de retard à rattraper.Et côté musique ?J’ai toujours écouté de la musique ; j’en ai même fait pendant une petite dizaine d’années. J’ai été formé à l’école du rock français (Bérurier Noir, la Mano Negra, Ludwig Von 88, Kortatu, etc.) pour dériver petit à petit sur le punk rock américain (Bad Religion, Nofx etc.). J’aime surtout les groupes à textes, qu’ils soient revendicatifs, poétiques ou comiques. J’admire vraiment un mec comme Manu Chao, il mène son travail à coups de cœur et de gueule. C’est exactement comme ça que je veux faire mon métier.T’évader. Tu le fais comment. Alcool ? Drogue ? Contemplation de la lune sur les rives du lac du Bourget ?Je ne bois pas d’alcool, mais je fume régulièrement, ce qui est d’une banalité sans nom. Non, les moments de repos sont surtout les jeux vidéo avec mes amis… Et puis aussi jouer avec mon chat qui est fou.Ton regard sur le monde professionnel de la BD/auteurs/éditeurs/lecteurs ?J’ai été passionné par ce monde-là pendant mes deux ou trois premières années en tant que professionnel, puis ça m’a soudain dégoûté. Tout est faussé.- Le rapport avec les lecteurs n’est souvent pas sain parce que je ne peux pas supporter qu’on me voie comme une référence.- Le rapport avec les éditeurs est étrange et souvent plein de sous-entendus parce que je ne sais jamais vraiment ce qu’ils pensent.- Les rapports entre auteurs sont fluctuants. Je suis souvent surpris par l’écart qu’il peut y avoir entre un travail que je trouve admirable et la personnalité parfois détestable de son auteur.En gros, j’ai maintenant envie de faire des livres et pas plus.Comment sont nés Lazarr et l’idée des Entremondes ?Lazarr est né à la suite des Cosmonautes, écrit par Lewis. Je voulais faire un album en couleurs de 46 pages en écrivant moi-même les dialogues et le découpage. Je ne savais pas trop comment débuter, comment créer un univers. Je savais de quoi je voulais parler, mais je n’arrivais pas à le mettre en forme. C’est là que j’ai appelé mon frère, Patrice à la rescousse. Il écrit beaucoup de jeux de rôle. Il a un univers fantasmatique puissant et il réussit très bien à me le communiquer quand on joue. Je lui ai donc tout naturellement soumis l’idée de base de Lazarr et lui ai demandé d’écrire la trame de l’histoire avec moi. On a discuté quelques heures, laissé reposer quelques semaines, puis il est revenu me voir avec un synopsis qui m’a enchanté. Je n’ai fait que le réécrire en langage bande dessinée. D’ailleurs, le second tome des Entremondes sera basé sur un jeu de rôles qu’il a déjà écrit.La mise en couleur ?La mise en couleur est de David Deth, dessinateur des Zorilles dans Spirou. J’avais déjà repéré ses couleurs depuis un petit moment et donc je l’ai appelé et, à ma grande joie, il a accepté. Il m’a surpris, en mettant des ambiances auxquelles je ne m’attendais absolument pas et qui étoffaient le dessin. Je suis nul en couleurs et j’ai le plus grand respect pour ceux qui savent les manier. J’avais déjà été ravi par les couleurs qu’avait faites Brigitte Findakly pour Les Cosmonautes, et avec David, ça a été une nouvelle découverte.Patrick Cauvin, qui en parle dans les pages Lectures de cette même Lettre, m’a dit avoir eu “presque peur” à un moment donné en lisant Les Cosmonautes du futur. Tu comprends ça ?Oui. Lewis m’a aussi fait peur à un moment du livre… Mais je ne dis pas où. Il faut le lire pour savoir.Ta collaboration avec Lewis (Trondheim) ?Ben avec Lewis, ça a été et c’est encore une vraie pure joie. D’abord parce que j’aime vraiment beaucoup son travail, et puis parce que, comme il m’a faxé les pages des Cosmonautes une à une, j’ai pu dessiner ce livre en le découvrant petit à petit, comme un lecteur. Et puis c’est quelqu’un qui a aussi une réputation genre mauvais caractère alors qu’il est tout simplement exigeant et attentionné. Mais c’est vrai que je ne peux pas m’empêcher de penser que s’il avait dessiné cet album, il aurait probablement été meilleur. J’aime son dessin.Tu sembles avoir horreur de la foule, des mondanités.C’est purement instinctif. Il faut savoir que pendant longtemps, mon milieu a été la rue. On y chope des automatismes et des habitudes qui sont difficilement compatibles avec les mondanités. Et puis je ne considère pas que boire du champagne du bout des lèvres en s’auto-congratulant avec emphase fasse partie de mon travail. C’est en partie pour cela que je ne fais plus de festivals ou de trucs dans le genre. Je suis auteur, pas clown.Quel est le danger qui te menace le plus souvent ?Le désespoir et la fatigue mentale.Tes rasades de joie, tu les trouves où ?Les jeux vidéo avec les amis. Mon chat. La confiance des gens que j’admire. Un dessin réussi de temps en temps. Lire un livre comme L’Ascension du Haut-Mal ou Le Réducteur de vitesse. La finale Bayern/Manchester et, le quart de finale Lens/Celta Vigo. La découverte de Céline.Tes réactions quand on te parle de ce que tu fais ?La gêne.On se connaît peu… a) Je te vois comme un sauvage… tendre ? Vrai ? Faux ?Je ne peux pas répondre à ça.b) Est-ce que tu trouves ça répugnant comme question ?Pas du tout. Mais c’est une affaire entre toi et moi.Fin de l’interview. Je te tends à nouveau le miroir. Tu t’y vois comment ?Guy Vidal

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Léturgie’s family

Depuis plusieurs années déjà, Jean (le père) et Simon (le fils) Léturgie travaillent ensemble. On sent dans leur collaboration une émulation : ce mélange est explosif ! Après avoir auto-édité leurs albums (disponibles chez Eigrutel), Dupuis les accueille dans la collection “Humour Libre” avec Spoon et White. Yann les a rejoints, histoire de rire plus encore…Comment un père et un fils en arrivent à travailler ensemble ?JL Lorsque Simon a commencé à dessiner des petits Mickeys vers l’âge de 12 ou 13 ans, je lui ai tout naturellement écrit des histoires. Le rythme était pris, insidieusement, et il n’a plus osé dire non. Il était coincé !SL Aujourd’hui ils sont obligés de s’y mettre à deux. Jean sentait qu’il commençait à devenir vieux et qu’il n’arrivait plus me tenir tout seul.On pourrait imaginer que vos envies sont très différentes, question de génération.JL Il est évident que je m’adapte au dessinateur avec lequel je travaille. Si j’écris un jour une histoire plus personnelle, je la dessinerai moi-même, quitte à ce que cela soit épouvantable.Vous êtes caméléon ?JL Un peu. Yann a la même démarche. Lorsqu’il écrit Pin-Up, il ajuste son histoire au dessin et aux possibilités de Berthet. Il me semble que c’est là le boulot de scénariste. Avec Simon c’est plus simple car il sait ce qu’il veut : des histoires qui ont la pêche, qui bougent…Est-ce que le plaisir est décuplé ?JL C’est forcé.C’est-à-dire ? Ça glisse ?JL Pas toujours car on a plus d’exigences. On essaie de ne pas mélanger les liens affectifs dans le travail. Nous avons l’avantage de bien nous connaître depuis très longtemps.SL Nous connaissons nos points faibles et la critique est beaucoup plus facile.Cette collaboration a été profitable à votre travail de scénariste ?JL Enormément. Je suis obligé de me remettre en question sans cesse. La différence de génération entre nous m’entraîne à revoir un peu toutes mes bases. Par exemple, dans le premier album, lorsque White sort du bateau en chantant May Flower May Flower, Yann et moi avions écrit Tais-toi Caruso. Simon nous a cassés en nous demandant qui était ce type… Les références, d’une génération à l’autre, ne sont pas les mêmes. Reste à savoir quel public nous voulons atteindre…SL Ma culture est très limitée. Elle est davantage issue de la pub et de la télé que de la littérature. Je crois d’ailleurs que c’est très symptomatique de ma génération.Vous donnez beaucoup dans l’inconscient collectif avec Spoon et White.SL Au début, Jean et Yann, bous avions imaginé Spoon vétéran du Viet-nam. Ils ne s’étaient pas rendus compte qu’il aurait environ 50 piges… On risquait de tomber dans L’Arme fatale : “j’suis trop vieux pour ce genre de conneries…”Un peu comme Yann et Jean ? !JL Justement, toute la difficulté est de réajuster nos références. Grâce à Simon, nous touchons un lectorat beaucoup plus jeune et c’est tant mieux.Jean et Yann apportent l’expérience, Simon la vivacité et la fraîcheur. C’est le cocktail idéal, non ?SL Effectivement, le scénario de Spoon a l’avantage d’être aussi bien ficelé qu’il a de pêche. Depuis Les Tuniques bleues et toutes les séries Dupuis depuis les années 70, il n’y a pas eu de longs récits d’humour. Aujourd’hui il n’y a guère qu’Odilon Verjus (écrit par Yann) et nous.Pourquoi avoir choisi un trio de personnages ? On a davantage l’habitude des duos ?SL Cela permet de se répartir les personnages entre nous : Yann fait la fille (!), Jean anime White et moi je m’occupe de Spoon, l’amoureux platonique.Vous avez donc besoin de vous identifier autant à vos héros ?JL Nous nous sommes effectivement distribué les rôles avec plus ou moins d’affect. En même temps que Yann prend de l’importance dans l’équipe, Balconni le fait dans l’histoire par exemple.Dans tous vos albums, on retrouve toujours un personnage “petit et teigneux”. Vous avez quelque chose contre ?SL Les petits héros ont un avantage graphique puisque même perdus dans la foule, on les repère toujours plus rapidement. Quant au côté teigneux, c’est une question d’identification pour Jean : cela lui facilite le travail ! (NDJ : Simon accepte d’assumer l’entière responsabilité de ses propos !)Le scénario à deux, c’est comment ?JL Je vais à Bruxelles une fois par mois pour travailler avec Yann. Nous calons l’histoire ensemble. Puis je fais un pré-découpage. Là-dessus, il remet les choses en ordre et rédige les dialogues. Après cela, nous revoyons tout avec Simon.Vous êtes particulièrement cinéphiles ?JL Nous voulons absolument orienter les références vers le cinéma. Nous nous donnons donc comme “devoir” d’aller au cinéma.SL Pour le deuxième album, nous avons été obligés de revoir Le Silence des agneaux ou des horreurs comme L’Ombre blanche de Steven Seagall. On oriente ces références vers les gros navets américains, tout en glissant de temps à autres un clin d’œil à un cinéma plus arts & essai.Vous êtes donc plus Tarantino qu’Hitchcock ?SL C’est sûr. Tarantino a été le premier à mettre des flingues dans ses films tout en conservant un pseudo côté sérieux. Mais la violence de ses films est souvent gratuite, contrairement à Spoon où la violence est souvent là pour faire rire. Nous développons davantage le genre gore dans Polstar.Peut-on dire que votre série Polstar a été le brouillon de Spoon ?SL Je dirai qu’il est son grand frère. Dupuis était intéressé par Polstar mais il leur était difficile d’assumer le côté boucherie de cette série. Nous avons un peu laissé tomber cet aspect-là et Spoon est né, beaucoup plus accessible que Polstar.C’est pourtant un gore très parodiqueSL Oui mais les gens n’y sont pas préparés. La BD a énormément de retard sur le cinéma. C’est dommage. Comme dit John Doo dans Seven : “Pour faire tourner la tête de quelqu’un, il ne faut pas lui taper sur l’épaule mais lui péter la clavicule.”Vous pensez que l’humour classique est une impasse ?JL L’humour a changé, c’est tout. Fernand Raynaud est bien loin.SL Je ne vois que Calvin et Hobbes pour faire rire sans choquer aujourd’hui.Vous n’avez pas peur que vos références se démodent très vite ?SL L’idée est surtout de donner un second plaisir à la lecture. Et puis nous n’avons pas non plus vocation à bâtir une œuvre impérissable. La BD d’amusement est en voie de disparition. On veut faire de l’humour simple, grand public et actuel.Vous avez auto-édité chez Eigrutel beaucoup de vos albums. On sent vraiment un esprit commun à des séries comme Polstar, Tequila, Tatsoin… Le même que dans Spoon. Pourquoi avez-vous fait appel à Dupuis cette fois ?JL Eigrutel n’édite que des albums dont les éditeurs ne veulent pas, des histoires marginales… Il nous a semblé normal de trouver un éditeur grand public pour cette série. Et puis personne n’entend jamais parler des albums Eigrutel… C’est un éditeur pour rire !Il est difficile de ne pas évoquer Conrad lorsqu’on regarde le dessin de Simon.SL J’apprécie son travail. A partir de là, ça ne me gêne absolument pas de travailler dans la lignée du “maître”. Je revendique la filiation. Giraud faisait du Jijé, Conrad du Franquin. Ils ont peu à peu pris leur propre pâte. Et quand à leur tour ils sont copiés, on oublie qu’à leurs débuts ils étaient très largement influencés. La différence s’affichera peu à peu d’elle-même, aussi bien dans le trait que dans les histoires que j’ai envie de raconter. Jean, vous donnez l’impression de réellement débuter votre carrière aujourd’hui.JL Oui, effectivement. Jusqu’à présent je n’ai fait que du Lucky Luke mais pas du Léturgie. La série ne se prêtait pas une interprétation plus personnelle du personnage. De même pour Percevan que je conçois pour Luguy sans y mettre ce que j’aimerai y trouver. Seuls les gags écrits il y a longtemps avec Serge Honorez pour Circus semblent correspondre un peu à mon travail d’aujourd’hui.Pourquoi ne pas avoir réagi plus tôt ?JL Tout bêtement parce qu’il est difficile de trouver des complices, des vrais. Et puis le dessin humoristique est méprisé dans le milieu. Tous les auteurs préfèrent se lancer dans le réalisme.Christelle Favre & Bertrand Pissavy Yvernault

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Elémentaire mon cher Hérisson

Créé dans la magazine Charlie-Mensuel en 1983, Dick Hérisson évoque avec bonheur le genre policier incarné par Sherlock Holmes ou Harry Dickson. Mais, au fil des albums, Didier Savard a su développer un univers personnel, riche et séduisant. Le nouvel album, Le 7e Cri, constituant le chaînon manquant entre Les 7 Boules de cristal et Hamlet !Dick Hérisson, Harry Dickson : un quasi-anagramme. Revendiquez-vous cette filiation au genre policier, à la littérature populaire à la façon d’un Jean Ray ?Tout à fait. Ça m’évoque d’ailleurs un souvenir précis, à l’époque où j’étais prof d’anglais à Arles. Un soir d’hiver venteux, j’étais dans un petit restaurant tranquille et je lisais un épisode de Harry Dickson. C’est véritablement là qu’est né l’idée de Dick Hérisson ! Quand j’ai créé le personnage, j’ai naturellement choisi de l’installer à Arles.Dans une interview vous déclariez que Dick Hérisson n’était pas un personnage “positif”…Dick Hérisson est d’abord un personnage “prétexte”. Ce n’est pas un personnage positif ou négatif, il me sert à raconter des histoires, il en est le fil de conducteur, il est en quelque sorte transparent. En soi, Dick Hérisson est un stéréotype du détective tel qu’on l’imagine. En revanche, certains de mes personnages secondaires offrent parfois plus de consistance.Comment avez-vous été amené à coécrire le feuilleton radiophonique Le Coffre rouge diffusé sur France-Inter ?C’était une demande de la direction de l’époque qui, après avoir confié à Tardi un premier feuilleton radiophonique, m’a proposé d’en écrire un autre en compagnie de Sophie Loubière. Le responsable de l’époque était un lecteur de Dick Hérisson et m’avait notamment suggéré d’écrire quelque chose proche de l’ambiance de l’album La Conspiration des poissonniers. Ce mélange de fantastique lovecraftien, et de saga archéologique à la Indiana Jones lui plaisait bien. On a écrit une centaine d’épisodes, parfois rattrapés par le temps, mais j’en garde un très bon souvenir.Une anecdote ?Je parlais de bon souvenir mais il est pourtant arrivé un événement dramatique durant une séance d’enregistrement. Il s’agissait alors du deuxième feuilleton qui devait s’appeler La Malédiction de Mornefange. L’un des acteurs, qui prêtait sa voix, est mort d’une crise cardiaque alors qu’il jouait une séquence agitée où il devait hurler “Mort au sorcier !”… C’est suite à ça que le feuilleton a été rebaptisé Le Mystère de Mornefange !La malédiction : c’est justement un thème récurrent dans Dick Hérisson.C’est quelque chose de frappant, forcément. Je me suis toujours intéressé à ce sujet, j’avais même tenté de recenser tous les livres et films portant le mot malédiction. Un des albums de Dick Hérisson s’appelle d’ailleurs L’Opéra maudit.Dans Le 7e Cri, Dick Hérisson retrouve ses deux régions de prédilection : la Provence et la Bretagne.Je dois avouer que l’épisode breton est un peu gratuit. Mais j’adore ces ambiances bretonnes mystérieuses et puis j’avais besoin d’un lieu avec un phare pour l’une des scènes. La Bretagne s’imposait !On imaginerait bien Dick traversant le Channel pour se rendre en Angleterre, au pays de Sherlock Holmes.Sans doute, mais cela ne ferait que renforcer l’aspect stéréotype du personnage à cause de ses références très présentes dans la littérature anglaise policière. Dick Hérisson, qui est quand même un personnage en décalage avec cet univers, a besoin d’avoir sa propre identité.Le 7e Cri ne serait-il pas un album où vous réglez quelques comptes avec vos parents, à l’image de Hamlet ?Sans doute, oui… Cet album a été une bonne psychanalyse (rires). J’aurais presque la prétention d’avoir fait plus tordu que Shakespeare car les rapports entre les personnages sont pour le moins peu clairs ! Si on me demandait de résumer cet album en une phrase, au débotté, je serais bien embarrassé !Faire un album de Dick Hérisson est une entreprise douloureuse ?Faire un album comme celui-là met des choses très personnelles en jeu, qui touchent l’inconscient. On se découvre à chaque fois. C’est aussi pour ça que mes albums font appel au fantastique et ne se limitent pas à la poursuite d’une simple enquête rationnelle avec un côté parodie de roman policier. Ça va plus loin, il y a une autre dimension.Le fantastique est omniprésent.Je tiens beaucoup à cette ambiance fantastique, ou plus exactement étrange, dans laquelle baigne Dick Hérisson. Le 7e Cri traduit bien cet univers “tordu” et trouble. Aucun personnage n’est véritablement clair.Votre dessin s’apparente à la ligne claire. Pensez-vous, à l’instar d’un Tardi, avoir trouvé votre propre style ?Pour moi un style ne se limite pas au dessin, il induit aussi le ton du récit. Je ne fais pas du Jacobs ou du Tardi, ni même du Hergé. Moi c’est moi ! Ceci dit, je ne peux pas cacher mes influences, je respecte beaucoup ces auteurs et il y a des parentés. Mais je fais d’abord du “Savard”. A propos de Tardi et de nos nouveautés respectives (Le 7e Cri et La Débauche) il y a une coïncidence un peu gênante : le début de nos histoires se passent toutes deux au Jardin des Plantes. C’est un pur hasard, quand j’ai débuté Le 7e Cri, il y a deux ans, je ne pouvais pas imaginer que Pennac et Tardi prévoyaient la même chose ! Je parie qu’à tous les coups des lecteurs vont croire que c’est un empreint volontaire.La disparition de Forest, avec lequel vous avez travaillé, vous a-telle marqué ?Profondément.François Le Bescond

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Lucky Luke, un jeune cow-boy de 54 ans !

Le Prophète, scénarisé par Patrick Nordman, est la nouvelle aventure de Lucky Luke qui sera en librairie le 11 mars. On y voit le célèbre cow-boy aux prises, bien sûr, avec les Dalton, mais aussi avec Dunkle, un charlatan pour qui Rantanplan se prend, naturellement, d’affection. Toujours élégant, avec une silhouette extraordinairement jeune, Morris a bien voulu répondre à quelques-unes de nos questions. A sa manière. Toujours laconique… ou pudique ?Je me souviens qu’un jour, vous m’avez dit que vous dessineriez tant que votre plaisir à le faire durerait.Je prends toujours le même plaisir à réaliser mes Lucky Luke. C’est un métier où on apprend jusqu’au dernier jour.Vous faites vivre Luke (pour notre plus grand bonheur) depuis 1946/47… Que ressentez-vous par rapport à une si longue histoire ?J’ai du mal à croire que je fais Lucky Luke depuis 54 ans. J’ai l’impression d’avoir commencé hier ou avant-hier.Vous souvenez-vous comment vous est venue la première idée de ce personnage ?Je ne me souviens plus ni comment ni pourquoi j’ai créé Lucky Luke. Je crois que le fait que j’aimais dessiner des chevaux y a été pour quelque chose.Lorsque vous avez écrit et dessiné Arizona 1880, en 1946, imaginiez-vous qu’il puisse connaître une telle carrière ? Aviez-vous d’autres personnages en réserve, au cas où il n’aurait pas retenu l’attention des lecteurs ?Non, je ne prévoyais pas un tel succès. Si Lucky Luke n’avait pas eu de succès, je pense que j’aurais créé une série se passant pendant la prohibition, à Chigago, avec Eliot Ness et Al Capone.A vos débuts, vous étiez très influencé par le dessin animé…Oui, à tel point que mes personnages n’avaient que quatre doigts à chaque main. Mais j’ai vite compris que cette simplification n’est acceptable qu’en dessin animé !Justement, une nouvelle série de dessins animés est en train d’être mise en chantier. On parle aussi d’un long métrage, avec Djamel dans le rôle de Joe Dalton. Vous pouvez nous en dire un peu plus ?C’est trop tôt pour en parler, les contrats n’étant pas signés…Je me souviens vous avoir vu un jour avec Roba, Franquin, Will… Je pense à Peyo, René Goscinny, J.-M. Charlier, Gillain… La bande dessinée franco-belge, outre le talent et le succès, représente aussi une belle réussite sur le plan de l’amitié, non ?Certes. Il y avait dans cette bande, une camaraderie voire une amitié indéfectible, ce qui, en plus, avait un effet très positif sur notre travail.J’ai cité René Goscinny. Il a été votre scénariste le plus important. Quel souvenir vous revient immédiatement à l’esprit quand il est question de lui ?Son professionnalisme.Vous êtes un des plus grands noms de la bande dessinée. Quel est le confrère dessinateur qui vous impressionne ou qui vous a le plus impressionné ?Il y en a plusieurs. Entre autres, Uderzo, incroyablement habile. On a dit souvent qu’Uderzo était le seul dessinateur capable de faire rire un personnage vu de dos…Le monde de la bande dessinée a-t-il beaucoup changé depuis l’époque de vos débuts ?Enormément. A nos débuts, nous étions les pervertisseurs de la jeunesse que nous empêchions de lire. La bande dessinée était vilipendée.Pensez-vous qu’il soit plus facile d’accès aujourd’hui pour un jeune ?Non. Si je me présentais, aujourd’hui, chez un éditeur avec mes dessins du début, je me ferai éjecter à coups de pied…Quel conseil prioritaire donneriez-vous, justement, à un jeune auteur qui débute ?D’avoir de la ténacité sûrement. Lorsque nous n’étions pas satisfaits de nos planches, nous les recommencions.Au cours de l’été 99, la hache de guerre a été enterrée entre Lucky Productions et Dargaud qui ont constitué une filiale commune, Lucky Comics, qui devient l’éditeur de l’ensemble des fonds Lucky Luke, Rantanplan et Le Bêtisier. Les gens de chez Dargaud en sont très heureux. Je pense qu’il en va de même pour vous…Bien entendu, je m’en réjouis également. Vous savez que mon métier doit s’exercer dans la sérénité et non dans une ambiance de guerre et d’hostilité.Avez-vous une devise, une phrase ou… un dessin, susceptible de résumer ce que vous pensez de la vie ?Non. La vie est trop compliquée pour être résumée en une phrase, comme dans les questionnaires de Proust.Guy Vidal

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Un amour de Betty…

Il débutera l’an 2000 en charmante compagnie : celle de Betty Page. Associé à Rodolphe, Alain Bignon entame un retour dans la BD, quatre ans après son dernier album.Quatre années séparent la parution des 4 morts de Betty Page de votre précédent album, Il faut y croire pour le voir (avec Forest). Pourquoi un tel laps de temps ?Parce que j’ai des activités multiples — qui n’ont pas grand-chose à voir avec la bande dessinée — et qui me prennent une grosse part de mon temps ! J’espère toutefois, dans l’avenir, pouvoir me consacrer d’avantage à la bande dessinée et au dessin… Il y a là une liberté qui m’attire terriblement.Vous signez ce nouvel album avec Rodolphe. Pourquoi ?C’est une vieille histoire ! On s’est connus il y a 15 ou 20 ans, grâce à un ami commun, un certain Jacques Lob. Ce nom vous dit encore quelque chose ? Jacques était non seulement un scénariste hors pair, mais quelqu’un qui aimait faire en sorte que les gens dont il appréciait le travail et la personnalité se rencontrent, se découvrent, décident éventuellement de travailler ensemble…Vous aviez déjà travaillé en compagnie de Rodolphe ?Oui, il y a une dizaine d’années nous avons réalisé un ensemble d’histoires courtes pour Glénat. Pour des numéros spéciaux de Circus…Auparavant vous aviez collaboré avec Guy Vidal et Jean-Claude Forest. Ont-ils tous les trois un dénominateur commun ?Oui. Un dénominateur commun qui s’appelle l’amitié. Pour ma part, il me serait impossible de travailler hors ce rapport d’amitié… Pour le reste, ils ont en effet tous les trois des formes d’expressions, des thématiques, des sensibilités qui leur sont propres…Les 4 morts de Betty Page est publié chez l’éditeur belge P & T Productions. Vous aviez précédemment été édité aux éditions Dargaud, aux Humanos et chez Delcourt. Pourquoi ces changements ?Sans doute parce que le nomadisme est dans l’air du temps ! Alors je fais comme tout le monde : je me balade !…Qu’est-ce qui vous plaît en Betty ?Sa féminité, bien entendu ! Gosses, on est tous finalement amoureux de sa mère et de son institutrice ! Dans Betty, c’est ça que je retrouve : cette vision en contre-plongée d’une femme, avec jupe ample et poitrine avantageuse !… L’image d’une femme ronde, courbe, rassurante, souriante, gentille ! L’image aussi d’un temps révolu où l’on était porté par ses fantasmes. Revenir sur ce temps disparu, le ressusciter, en éterniser l’instant, c’est là quelque chose que je ne pouvais pas refuser !Qui était Betty Page ?Je vous l’ai dit : elle était ma mère et mon institutrice. Une de ces dames qui, gamin, vous prend sur ses genoux, de façon presque innocente. Presque, mais pas totalement. De la part du gamin en tout cas. Car celui-ci en profite pour voir, sentir, toucher, se frotter au maximum…Les 4 Morts de Betty Page représente-t-il une forme de biographie du modèle américain ?Une forme ? Oui, tout à fait ! Pas une bio officielle, c’est sûr, mais une bio quand même, version Bignon & Rodolphe !… L’Histoire vous savez, est évolutive. Les historiens, les avocats, les biographes, sans cesse s’approprient, ré-écrivent, ré-inventent. Alors pourquoi les auteurs de BD n’auraient-ils pas le droit de faire de même ? Je suis sûr que Betty a vécu l’histoire (policière) qu’on lui fait vivre. Je suis là pour l’attester. J’y étais. Avec mes crayons et mes pinceaux.À propos de crayons et de pinceaux, n’est-il pas difficile de faire vivre en tant que personnage quelqu’un qui a vraiment existé ?Tout tourne autour de l’idée d’interprétation. Si je plante mon chevalet dans la campagne, je ne découpe pas pour autant un bout du paysage avec mes ciseaux ! Ce que je pose sur ma toile, ce que j’emmène, c’est le paysage vu à travers moi, à travers mes yeux et ma main ! L’artiste est là pour donner une cohérence aux choses, pour construire un système cohérent… Et, bien sûr, ce qui est valable pour un peintre et un coin de campagne l’est tout autant pour Betty Page et un dessinateur de BD… Le personnage que je présente, c’est Betty vue à travers moi. Ma Betty. Celle d’Alain Bignon !Et la création du New York des années 1950 ? Cela ne vous a pas posé de gros problèmes ?Bah, problèmes de cuisine et d’intendance. Sans intérêt pour le public !Ces derniers temps vous avez travaillé sur des albums “longs métrages”. Il faut y croire pour le voir fait 100 planches, Les 4 morts de Betty Page en fait 82…C’est l’affaire de mes scénaristes. Mais si l’histoire qu’ils ont à raconter a du rythme et du souffle, pourquoi pas ? L’important c’est d’adapter la longueur du récit à l’importance du propos… Ces deux histoires avaient besoin de cette longueur… Dans d’autres cas, des albums de 46 ou 64 pages m’ont tout à fait satisfait…Quels sont vos projets ?Je vous l’ai dit : essayer de dessiner d’avantage ! Et approfondir aussi une certaine réflexion sur mon travail ! Tenter de trouver un type de dessin qui me satisfasse plus encore : un dessin peut-être plus figuratif, plus réaliste mais qui conserve néanmoins cette singularité qui est la mienne. Le réalisme absolu est un leurre. Reste toujours une épaisseur, quelque chose de lié à la personne, l’originalité du regard qui observe… L’histoire de la main qui écrit ou dessine…Vous avez toujours réalisé des albums indépendants. Des “one-shot” comme on dit aujourd’hui. N’êtes-vous pas tenté par le principe de la série ?C’est là en effet quelque chose sur quoi je réfléchis : créer un personnage récurrent, installer un climat, définir une galerie de personnages secondaires, les positionner par rapport à des situations données, trouver une façon simple et légère de parler de choses importantes. Celles du temps et les nôtres. J’espère y arriver…Charles Kerloc’h